Le penseur et romancier Amin Zaoui était l'invité l'après-midi du samedi 19 janvier du "Club du roman" de l'association Al DJahidhiya (Alger), où il a présenté son roman Al Khillane (éditions El Ikhtilef et Difaf). C'était au temps où le ciel s'était grisaillé à la fureur des canons de la guerre des tranchées de 1914-1918 et celle de 1939-1945. Et durant ces jours qui s'enchaînaient à l'ignoble joug colonial, l'occupant avait l'inespérée manne de chair à canon qu'il puisait auprès de l'autochtone et qu'il envoyait au front dans un conflit qui n'était pas le sien. Et, c'est dans le tourment de l'engagement forcé qu'est née une amitié entre trois bidasses dans un casernement stationné quelque part dans l'Algérie profonde. Ils avaient chacun à la main, l'ordre d'appel qui faisait mention de leurs noms et de leur nationalité, mais pas de leur religion. Et bien qu'ils fussent différents l'un et de l'autre, ils s'étaient juré fidélité dans le compagnonnage d'armes. Eux ? C'était "Al Khillane" ou ce trio de camarades qui mangeaient dans la même gamelle et qui se riaient de l'adjudant de compagnie ainsi que des potins de chambrées. L'un s'appelait Afolay Rochdi et allait donc sur les pas du statut de ses aïeux qui furent embastillé dans l'ignominieux code de l'indigénat. Pire, et bien qu'il soit clouté à l'offensant pilori de l'apartheid, ce "bleu" de confession musulmane reste tout de même imbue de sa culture qui est rivée sur l'assise d'Apulée de Madaure (M'daourouch) (125-170), l'écrivain de L'âne d'or. Quant au second, il est capitaine ! Et bien qu'il soit d'obédience juive de Tlemcen, l'officier Lévy Nqaoua Zemermann partage la mention d'indigène avec son camarade d'infortune. Néanmoins, le juif Lévy Nqaoua Zemermann en raffole de la littérature et de l'apprentissage d'autres langues dont celle de Molière qu'il estime qu'elle est la langue du cœur et l'Allemand qui sied au génie créatif. Enfin, il y a aussi Augustin le Normand qui fredonnait "J'aime à revoir ma Normandie" (*) au jour J de sa "quille"… Autre liant qui cimentait l'amitié de ces trois copains, l'un comme l'autre avaient tétés la sève nourricière de la terre Algérie qui les a vu naître. Et à la première étincelle de l'Eternel Novembre, le trio de bidasses déserta les rangs de l'ennemi à la suite de l'injonction du FLN afin de rétribuer leur authentique mère patrie d'un tribut de sang ou de sueur. "L'histoire se veut un hommage aux trois martyrs de notre révolution, à savoir Ahmed Zabana dit H'mida (1926-1956) et Fernand Iveton (1926-1957) qui furent décapité du même couperet de l'immonde guillotine alors que Maurice Audin (1932-1957) a souffert également de l'identique infâme "Question" posée à ses frères de lutte...", a indiqué Amin Zaoui. Outre l'osmose de leur entente, à eux trois, ils symbolisent leur attachement aux valeurs humaines, dont l'idéal d'une liberté recouvrée au lendemain de l'indépendance et auquel il manque le maillon de l'égalité... Décodée, la romance Al Khillane est aussi l'ode du penseur Amin Zaoui qu'il voue à d'authentiques révolutionnaires qui souffrent de l'ingratitude au motif qu'ils étaient juifs, "alors qu'hier ils avaient la patrie à cœur et avant toute religion. Mais c'en est ainsi lorsque la foi s'usurpe à la citoyenneté", a-t-on su du tribun. À ce sujet, Al Khillane, c'est plus qu'une romance, c'est un projet de société où chacun doit y retrouver la place qu'était la sienne et un réquisitoire contre l'oubli que l'auteur dédicace à la jeunesse. À noter que la conférence a été modérée par la directrice des éditions Ikhtilef, Assia Moussei et l'universitaire Allel Sengouga. Louhal Nourreddine (*) Ma Normandie (1836), paroles et musique de Frédéric Bérat (1836).