En plaidant désormais pour un dialogue "entre la Présidence et l'institution militaire", entre lesquelles il décèle "un fossé", Smaïl Lalmas touche du doigt ce qui constitue, sans doute, le nœud de la crise politique. Pendant ce temps, Karim Younès, lui, se place résolument d'un côté du "fossé". Dans un entretien publié hier par El Watan, Smaïl Lalmas a déclaré avoir claqué la porte du panel de Karim Younès, après avoir constaté des "divergences en haut lieu" sur la question du dialogue et des conditions à réunir pour sa réussite. "Nous avons été très bien reçus à la Présidence, nos interlocuteurs donnaient l'impression d'être conscients de la gravité de la situation et le chef de l'Etat par intérim s'était engagé à répondre favorablement à nos conditions. On sentait qu'il allait mettre le paquet pour la réussite de ce panel, mais après l'intervention du chef d'état-major, j'ai compris que le panel était mort-né et qu'il y avait de sérieux problèmes au sommet de l'Etat", a regretté le désormais ex-membre du panel. Et d'assener que "le dialogue s'impose d'abord entre les tenants du pouvoir. Entre la Présidence et l'institution militaire". Voilà qui est dit. À vrai dire, ces déclarations de Smaïl Lalmas n'ont pas vraiment valeur de révélation. Tous les observateurs avaient, comme lui, relevé les flagrantes contradictions dans les approches respectives du président intérimaire et du chef d'état-major de l'armée quant aux suites qu'il conviendrait de donner aux préalables posés par le "panel du dialogue" qui, du reste, font consensus au sein de la classe politique et de la société civile. Mais en plaidant désormais pour un autre préalable, à savoir un dialogue "entre la Présidence et l'institution militaire" entre lesquelles "il y a un désaccord" et "même un fossé", M. Lalmas touche du doigt ce qui constitue, sans doute, le nœud de la crise politique. Celui-ci se trouverait donc au niveau du pouvoir qui n'aurait pas une analyse homogène de la situation du pays et, par conséquent, serait incapable d'y apporter une réponse satisfaisante. Une chose est sûre : on ne peut pas reprocher à Smaïl Lalmas de manquer d'arguments. Entre un chef de l'Etat (intérimaire) qui s'engage à œuvrer et à faire tout ce qui est possible pour répondre favorablement aux exigences du panel, dont "la libération des détenus d'opinion", et un chef d'état-major de l'armée qui oppose un niet catégorique et sans appel, et qui va jusqu'à récuser l'existence de "détenus d'opinion", le mot "divergence" ne serait peut-être pas assez fort pour rendre compte de la réalité des rapports entre les deux institutions que sont la Présidence et l'Armée. Bensalah a-t-il agi seul ? Que s'est-il donc passé pour que pareille contradiction arrive à être étalée, de manière aussi flagrante, sur la place publique ? On sortirait de Saint-Cyr qu'on ne saurait le dire. Cela étant, il paraît évident que Gaïd Salah n'était pas informé à l'avance des engagements que Bensalah allait prendre, jeudi 25 juillet, devant les membres du panel. Il est vrai que le chef de l'Etat, même intérimaire, n'est pas tenu, légalement, de consulter le chef de l'institution militaire pour obtenir son accord pour une telle initiative, mais l'on sait que l'exercice du pouvoir, chez nous, est codifié par des lois non écrites. Bensalah avait-il donc agi en ayant la naïve certitude que Gaïd Salah allait consentir et même applaudir à une action qui, somme toute, était de nature à ouvrir la voie à l'amorce d'un dialogue qu'il appelait lui-même de ses vœux ? Peu probable, l'homme n'étant pas connu pour oser des initiatives en toute autonomie lorsqu'il occupait des fonctions moins sensibles. Il ne se serait donc pas risqué, tout seul et sans aucun soutien ni aucune caution préalables, dans une conjoncture politique aussi incertaine. Bensalah a-t-il donc été "encouragé" par quelque partie à s'engager avec le panel et à lui promettre publiquement la mise en œuvre de ces fameuses mesures d'apaisement ? Cette même partie aurait-elle dissuadé Karim Younès de rendre son tablier, lui qui menaçait de se retirer du processus et qui brandissait même la menace d'une autodissolution du panel ? "Je persiste sur le fait que nous ne pouvons pas envisager un dialogue sans mesures d'apaisement", a-t-il assuré samedi dans les colonnes de Liberté. En demeurant coordinateur de cette structure, et surtout en affirmant son attachement à la satisfaction des préalables et autres mesures d'apaisement, il laisse clairement entendre qu'il ose le pari de se fier plus aux engagements de Bensalah qu'au veto de Gaïd Salah. Un pari à quitte ou double qu'il n'aurait sans doute pas pris s'il n'avait pas la certitude de pouvoir compter sur un soutien de poids au sein du pouvoir.