Le projet Desertec semble être pris dans une tempête de sable du vaste désert de la région Mena de laquelle il n'a pu s'affranchir. La machine devant assurer le bon fonctionnement de cette large opération qui consiste en la production d'énergies renouvelables a été, au grand dam des pays de la rive sud de la Méditerranée, bloquée par les grains de sable de l'immense Sahara qui devait abriter un large programme de construction de centrales solaires et de fermes éoliennes dont la production devait être destinée à alimenter l'Europe en électricité. Aujourd'hui, le projet a été repris sous une nouvelle formule. Après s'être retirée il y a neuf ans de ce vaste et ambitieux projet, l'Algérie envisage sérieusement de reprendre sa coopération avec les nouveaux actionnaires du consortium Desertec Industrial Initiative (Dii) dans sa nouvelle formule. L'initiative du groupe Sonelgaz dont le PDG, Chaher Boulakhras, a pris part récemment au 10e sommet de Dii à Berlin, montre clairement l'intérêt de notre pays pour le concept Desertec qui consiste en la production solaire de masse au Sahara d'Afrique du Nord et du Moyen-Orient (Mena) et son exportation vers l'Europe. Sonelgaz réaffirme de manière claire vouloir développer des axes de coopération avec Dii. La participation du premier responsable de Sonelgaz à cette rencontre a pour principal but de profiter de toutes les initiatives qui pourraient contribuer à augmenter substantiellement la part des énergies renouvelables dans le mix énergétique algérien. Dans son plan de développement en effet, Sonelgaz a mis en place un processus de passage aux énergies renouvelables (EnR) et à l'efficacité énergétique, et considère que la transition énergétique est la meilleure voie pour contribuer à la croissance économique en Algérie. La transition énergétique est un enjeu majeur pour Sonelgaz en raison des prévisions d'augmentation rapide de la consommation nationale et de la demande de climatisation et de chauffage ainsi que des perspectives de développement industriel et des services. Ainsi, pour renforcer les capacités de production d'origine renouvelable et mieux les intégrer dans le système électrique algérien, l'entreprise nationale de l'électricité et du gaz compte réellement concrétiser ce travail collaboratif avec Dii dans le domaine des EnR. L'objectif est d'initier et de réaliser des études techniques et économiques pour mieux profiter des potentiels solaires et éoliens et généraliser les renouvelables dans notre pays. Sonelgaz veut également promouvoir des projets communs de développement des EnR au niveau national et international. Avec les experts de Dii, le groupe projette de développer la recherche dans le domaine de la fabrication, de l'installation, de l'exploitation et du stockage des EnR. Le groupe veut profiter aussi de l'expertise dont jouissent les actionnaires de Dii à travers des programmes de formation dans les industries des EnR tout en profitant d'un transfert de leur savoir-faire et de leurs technologies. L'autre attente de Sonelgaz dans ce partenariat est d'examiner en commun les voies et moyens pour l'accès aux marchés extérieurs par l'exportation de l'électricité d'origine renouvelable. Cependant, cet objectif précis semble être difficilement réalisable sur le marché européen et constitue même une contrainte majeure qui risque de contrarier le groupe que dirige M. Boulakhras. Il s'agit en fait des écueils réglementaires d'accès au marché du Vieux Continent, en l'occurrence l'article 9 de la directive européenne sur l'énergie qui interdit tout accès d'énergie verte sur les territoires des pays membres de l'UE. Des contraintes dissuasives à l'exportation Cette mesure constitue un des facteurs de blocage du fait que la réglementation énergétique de l'UE interdit à des électrons verts produits en dehors de l'espace européen d'intégrer son marché. Tant que l'article 9 n'est pas aménagé, chose qui ne peut se faire d'ailleurs que dans le cadre de la future directive européenne sur l'énergie 2, le marché européen reste fermé pour les énergies renouvelables produites en dehors de l'espace de l'UE. Les pays européens privilégient l'énergie produite exclusivement en Europe. Car de nombreuses aides sont offertes dans ce cadre par les gouvernements et, par conséquent, l'on préfère les attribuer aux entreprises et aux opérateurs européens. Il faut savoir aussi que le marché européen est actuellement excédentaire, voire saturé. Et par voie de conséquence, toute exportation vers cette zone n'est pas opportune. Des pays tels que le Portugal, l'Espagne et l'Italie, tous proches de l'Algérie pour d'éventuelles interconnexions, sont en surproduction et cherchent eux-mêmes à exporter. Même le coût de transport est trop élevé, et ces interconnexions sont inintéressantes en termes de rentabilité. Il faut également, du point de vue technique, développer des réseaux, alors que les chemins possibles à travers la Tunisie ou le Maroc sont limités en termes de capacités. Ils ne peuvent de ce fait transporter des masses importantes qui peuvent être produites dans le désert. Il est important de noter que dans le cadre de l'accord de coopération signé en 2011 entre Dii et Sonelgaz, il a été réalisé en commun une étude de faisabilité pour l'exportation d'une capacité de 1000 MW en renouvelables solaire et éolien de l'Algérie vers le marché européen. En plus de l'impact socioéconomique, l'étude a évalué les différentes technologies utilisées et a analysé les cadres réglementaires tant du côté algérien qu'européen, notamment en ce qui concerne les aspects liés à l'exportation d'une part et à l'importation de l'autre, indique Rabah Touileb, expert energy et ex-directeur général de la stratégie et de la prospective à Sonelgaz. L'étude a abouti en outre à un modèle économique rentable pour un projet d'exportation de l'électricité renouvelable de l'Algérie vers le marché européen sous des conditions particulièrement favorables dont l'accès au marché européen pour les énergies vertes produites à l'extérieur de l'espace européen et en particulier la levée des contraintes imposées par l'article 9 de la directive européenne sur l'énergie, ajoute cet expert. Au cours de cette étude, une cartographie des entreprises algériennes pouvant être associées au développement des énergies renouvelables en Algérie a été établie et des opérateurs dans différents secteurs ont été également identifiés. De l'exportation d'énergie verte vers l'Europe L'Algérie, estime M. Touileb, compte présentement de nombreux projets dans la recherche et développement et dispose de filières de formation spécialisées permettant l'appropriation des technologies renouvelables sous toutes leurs formes, à savoir éoliennes, photovoltaïques et solaires concentrées. "L'idée de la convention signée en 2011 entre Sonelgaz et Dii et que cette dernière encouragerait ses partenaires à faire du transfert du savoir-faire, un élément essentiel des services proposés par les entreprises étrangères lorsqu'elles soumissionnent à un appel d'offres en Algérie", précise l'ancien directeur général chargé de la stratégie et de la prospective à Sonelgaz. Pour cet expert, l'étude réalisée entre Sonelgaz et Dii a fait ressortir des perspectives d'emplois particulièrement prometteuses par rapport au développement des EnR en Algérie. Il cite deux paramètres qui favorisent cet impact positif. C'est que, d'abord, le pays dispose d'ores et déjà d'une base industrielle qui lui permettrait de fabriquer dès le départ une part importante des composants localement. L'autre facteur est que les technologies solaires thermiques, photovoltaïques et éoliennes mobilisent énormément de main-d'œuvre, que ce soit dans la fabrication des composants, la construction des centrales, leur exploitation et leur maintenance. Il reste bien entendu que les besoins de compétences dans le secteur des énergies renouvelables sont bien réels, et l'Algérie a déjà commencé à former la ressource humaine nécessaire afin de lui permettre d'acquérir le métier dans les filières renouvelables en pleine expansion. Une chose est certaine, l'Algérie a de bons motifs de bien accueillir le ou les projets qui arrivent à point nommé pour renflouer sa production d'énergie qui risque, comme le redoutent les experts, de décliner fortement à l'horizon 2025 s'il n'y a pas de nouvelles découvertes de gaz et de pétrole. Des conditions pour l'exportation D'une manière générale, le cadre réglementaire actuel tant en Algérie qu'en Europe permet la mise en œuvre d'un projet d'exportation d'énergie verte moyennant des adaptations, notamment en termes de bénéfice des mécanismes de soutien et d'applicabilité de l'article 9 de la directive européenne sur les énergies renouvelables. "En Algérie, le cadre juridique existant énonce les principales exigences légales, mais il est nécessaire qu'une réglementation détaillée soit élaborée. Les aspects manquants devront être réglementés sur une base contractuelle aux niveaux politique et commercial", souligne M. Touileb. Afin de fixer un cadre complet pour la mise en œuvre d'un projet d'exportation, un accord entre l'Algérie et les Etats membres de l'UE qui soutiennent le projet est nécessaire. Cet accord doit aborder les principaux aspects de la coopération entre les pays concernés, y compris un soutien financier. Des accords commerciaux et opérationnels avec les opérateurs algériens, en l'occurrence le gestionnaire du réseau de transport, l'opérateur du système, seront également nécessaires. Une circulation stable et sécurisée de l'électricité est également essentielle pour la faisabilité du projet d'exportation. Cela devrait être considéré particulièrement, lors de l'adoption de l'allocation de capacités et des règles de gestion des congestions applicables aux interconnexions.