Signe patent de cette prise de conscience de la menace, la défection des plus irréductibles figures du hirak local à la marche habituelle du dimanche. Depuis la confirmation des trois premiers cas de contamination par le Covid-19, les signes d'inquiétude et de prise au sérieux du risque contamination se font de plus en plus sentir à Tizi Ouzou. La pandémie est sur toutes les lèvres et polarise toutes les discussions. La moindre rumeur sur un cas suspect est suivie avec attention par les habitants. Mais pas seulement. Une virée au CHU Nedir-Mohamed, hier, laissait, en tout cas, le constater. Dans l'enceinte de ce plus important établissement hospitalier de la wilaya de Tizi Ouzou, il est rare de croiser un employé sans bavette. Qu'il soit médecin, infirmier, administrateur ou même agent de sécurité. Un nombre de plus en plus croissant de personnes appelées à se rendre dans ce même établissement portent également des bavettes. Le port de ces dernières relevait, pourtant, presque du domaine du tabou jusqu'à la fin de la semaine dernière à Tizi Ouzou, mais depuis samedi, il a plutôt tendance à devenir un geste anodin. La même situation est constatée également dans les différentes policliniques de la ville où patients, accompagnateurs et visiteurs commencent à observer les distances d'usage entre eux. Autre signe d'inquiétude fut l'habituelle marche du dimanche, hier, à laquelle même les plus irréductibles hirakistes ont fait défection. Ils n'étaient, en effet, qu'une vingtaine de personnes à y prendre part. Mais les signes les plus significatifs sont perceptibles notamment sur les réseaux sociaux où l'idée de la suspension des marches, qui était inenvisageable jusqu'à vendredi dernier, est désormais abordée sans aucun complexe même par les plus fidèles de la révolution du peuple. "Tous mes amis médecins confirment la gravité du nouveau coronavirus et il se trouve des populistes qui poussent au chaos. Ne les écoutez pas, restez chez vous et observez une trêve de quelques semaines. La mort absurde ne servira à rien", a appelé l'universitaire et militant Belkacem Boukhrouf. Le docteur en psychiatrie, Mahmoud Boudarène, n'en pense pas moins. "Tant que la menace est présente, je ne marcherai pas. Je ne veux être ni l'hôte ni le vecteur de ce virus", a-t-il déclaré. Pour sa part, le président du RPK, Hamou Boumedine, estime que "le sens de responsabilité doit imposer au hirak un moratoire pour les marches et envisager d'autres actions, telles que les grèves, l'organisation de forums de débat sur le mouvement, la mise en place d'un réseau de solidarité populaire pour face au coronavirus, entre autres, pour maintenir la flamme de la contestation jusqu'à dissipation de tout risque sanitaire". Prise de conscience de la population Ces avis ont suscité de nombreuses réactions favorables, alors que d'autres activistes appellent plutôt à maintenir les marches, mais à prendre les précautions d'usage pour éviter la contamination. Une chose est certaine, c'est que la menace du coronavirus est, désormais, sérieusement prise en considération par la population, que ce soit dans l'équation politique ou dans la vie quotidienne. Une question continue, néanmoins, de tarauder les esprits : les mesures annoncées jusque-là, couplées avec la prise de conscience des citoyens, suffisent-elles pour juguler cette épidémie ? "Pour le moment, la situation est maîtrisée, mais elle peut changer d'un instant à un autre", a estimé le directeur de la santé Abès Ziri dans un communiqué rendu public hier. Pour les habitants de la wilaya de Tizi Ouzou, il est même absurde de fermer les écoles, l'université et les centres de formation, d'un côté, et laisser les mosquées ouvertes et maintenir des vols de et vers l'Europe, de l'autre. "J'ai suivi les explications fournies par les autorités et il en ressort que le point commun entre les patients est la notion de voyage récent en France ou de contact avec des personnes qui viennent de rentrer d'Europe. Donc, si les autorités veulent réellement maîtriser la situation, ils n'ont qu'à suspendre tous les vols pour une période et de fermer provisoirement les mosquées qui sont également des espaces publics confinés, donc à haut risque de propagation du virus", a estimé Farid, un infirmier exerçant à Tizi Ouzou. Des habitants rencontrés soulignent plusieurs facteurs qui rendent difficiles le respect des précautions préventives. "Les bavettes coûtent 100 DA l'unité, la solution hydroalcoolique est introuvable, sinon aussi inaccessible", a indiqué l'un d'entre eux, à titre d'exemple. Pour tenter de rassurer la population, le directeur de la santé de la wilaya a affirmé qu'aucun nouveau cas confirmé n'a été enregistré hier et a expliqué dans son communiqué rendu public hier qu'une cellule de veille est installée au niveau de la wilaya et dans chaque établissement de santé en vue de "riposter efficacement et d'endiguer cette épidémie". Il a, toutefois, réitéré son appel quant "à la nécessité d'observer les règles d'hygiène, notamment le lavage fréquent des mains avec du savon et l'application de gel hydroalcoolique, ainsi que d'éviter le serrage des mains et les embrassades, de limiter les visites dans les hôpitaux et de protéger les personnes âgées".