"Entre les stades 2 et 3, il y a une marge réduite", précise le professeur Salim Nafti. Le président de la République, Abdelmadjid Tebboune, a annoncé, mardi soir, dans son discours à la nation, une série de mesures pour circonscrire le coronavirus. Les professeurs en médecine que nous avons interrogés, estiment que ces mesures prises tardivement, risquent également de s'avérer insuffisantes, vu la réalité des moyens dont dispose le pays pour faire face à l'épidémie. "Cela fait 15 jours que nous réclamons la fermeture des mosquées qui représentent un grand risque de contamination parce que ce sont des endroits confinés et exigus. 5 prières par jour de 20 à 30 minutes à multiplier par le nombre des mosquées sur le territoire national, vous imaginez les risques ? Je pense que la décision de fermeture des mosquées est intervenue très tardivement", affirme le professeur Salim Nafti, spécialiste des maladies respiratoires à l'hôpital Mustapha-Pacha, qui soutient également qu'il fallait suspendre également rapidement les marches des vendredis et mardis, le temps de la pandémie. Selon ce médecin, "l'Etat algérien n'a rien inventé en la matière, il est en train d'appliquer les recommandations de l'Organisation mondiale de la santé (OMS) pour limiter la circulation des personnes et les regroupements. La seule chose qui nous distingue de certains pays est la fermeture des lieux de prière". De son côté, le professeur Mansour Brouri, chef de service de médecine interne de Birtraria, réagit à l'annonce d'Abdelmadjid Tebboune relative au classement du pays au "stade 2" de la pandémie de coronavirus, sur une échelle qui en compte trois. À ce niveau d'alerte, la stratégie sanitaire consiste à freiner l'introduction du virus sur le territoire national et à restreindre sa propagation par des mesures d'endiguement. Le professeur Mansour Brouri pense que le pays aurait dû passer immédiatement aux consignes de stade 3, soit le confinement, vu nos moyens limités pour faire face à une ascension rapide de la courbe de propagation du virus. "Le confinement continue de s'imposer et on doit le consigner rapidement. Au-delà d'un certain temps. C'est perdu", confie ce médecin, soutenant que l'Algérie ne dispose pas de "chiffres fiables sur la propagation du virus car les tests de dépistage ne sont pas effectués systématiquement sur tout cas suspect. Or, avoir des données fiables est important pour se préparer à prendre en charge les cas graves et prendre les mesures adéquates". Les deux spécialistes en sont persuadés : le passage de l'Algérie au stade 3 de l'épidémie est désormais inévitable. "vu l'allure que prend la propagation du virus, on y va tout droit. Du stade 2 au stade 3, il y a une marge réduite", précise le professeur Nafti qui pense, néanmoins, "qu'on pourrait décréter le confinement que lorsque les deux tiers des wilayas seront contaminés. Mais le problème est qu'on n'a pas de visibilité du nombre réel de personnes porteuses du coronavirus". Concernant les chiffres officiels sur la disponibilité des lits de réanimation, le professeur Nafti se demande si ce sont véritablement des places en réanimation et en soins intensifs ou il a été simplement intégré dans ce décompte des lits d'hospitalisation ? Le nombre d'Algériens atteints du coronavirus s'accroît chaque jour. Le risque est de se retrouver avec un afflux massif de patients dans un état très grave qu'il faut placer sous respirateur artificiel, et qu'il n'y ait plus de places disponibles. Actuellement, les différents services dédiés à la prise en charge des cas de coronavirus ne sont pas au stade de l'asphyxie. Mais les médecins sur le front redoutent, à travers de nombreux témoignages sur les réseaux sociaux, d'être confrontés rapidement à une situation de médecine de catastrophe. C'est-à-dire de se retrouver face à plusieurs malades, pour un seul respirateur. "Je pense qu'il n'y a pas que le ministère de la Santé qui doit être impliqué dans cette guerre sanitaire. Tout le gouvernement doit s'atteler à la faveur de la mise en place d'un comité multisectoriel. Il y a aussi cette possibilité de mettre en place des hôpitaux de campagne comme on l'a déjà fait lors de tremblements de terre. L'armée a les moyens de transporter les malades des régions éloignées vers les services de réanimation", recommande le professeur Mansour Brouri, ajoutant qu'"il faut surtout penser à former d'urgence le personnel de santé et le personnel de soutien comme les femmes de ménage qui sont impliquées dans cette lutte contre la propagation du coronavirus. Il faut assurer aussi une formation pour l'accueil des malades. Car, dans certains cas, on a préféré s'éloigner du malade au lieu d'aller vers lui en prenant les précautions nécessaires". Le professeur Brouri préconise, en outre, de doter chaque région d'un parcours hospitalier identifié. "Il est nécessaire de clarifier le parcours que doit emprunter le malade et mettre en place un service de réanimation à proximité de l'hôpital de Boufarik qui est spécialisé dans les maladies infectieuses." Selon lui, le pays dispose de réanimateurs anesthésistes et peu de réanimateurs médicaux, car cette spécialité a été suspendue dans les années 1980, pour ne reprendre que récemment.