Dans cet entretien, Noureddine Legheliel, analyste boursier, explique les raisons du choc pétrolier en soulignant que les prix du brut, même s'ils resteront volatiles, enregistreront une hausse au second trimestre de cette l'année. Nous vivons actuellement un choc pétrolier. Quelles en sont les raisons, selon vous ? Noureddine Legheliel : Il y a certes le coronavirus. Ce virus a eu des effets négatifs sur l'économie du second pays consommateur de pétrole au monde, qui est la Chine. Sa propagation à travers le monde, et plus particulièrement en Europe, a causé la paralysie de plusieurs secteurs industriels gourmands en pétrole, comme le secteur des transports. Mais il y a surtout l'interventionnisme des politiques qui a précipité cette chute très brutale des prix du pétrole. Lors de la réunion de l'Opep et non Opep des 5 et 6 mars, le président Poutine avait rejeté la proposition de l'Opep d'une réduction de la production russe de pétrole de l'ordre de 200 000 barils par jour. Face à ce refus, le prince saoudien Mohamed Ben Salman avait décidé de déclencher la guerre des prix en annonçant l'augmentation de la production saoudienne à 12,8 millions de barils par jour. Cela avait choqué le marché et provoqué une chute verticale du prix du Brent, entre le 5 et le 17 mars, de l'ordre de 46%. Le président Poutine légitime son refus d'augmenter la production russe par le fait que "chaque fois que les pays Opep et les pays non Opep baissent leur production, les Américains profitent de ces baisses pour augmenter leur production, gagnant ainsi des parts du marché au détriment des Russes et des pays de l'Opep". Mais il y a eu d'autres raisons que M. Poutine ne révèle pas. Les Américains exercent des pressions sur le gouvernement allemand pour qu'il abandonne le projet russe Nord Stream 2 (Pipeline gazier sous-marin traversant la mer Baltique pour relier l'Allemagne). Il y a aussi les sanctions américaines contre la compagnie pétrolière russe Rosneft qui investit dans le pétrole vénézuélien. Quant aux Saoudiens, eux aussi avancent l'argument de la perte de leurs parts de marché au profit des Russes et des producteurs américains du schiste. Un autre élément a accentué cette chute des prix. Il s'agit de la surévaluation des actions dans les principales Bourses mondiales. À titre explicatif, je citerai quelques cotations des indices boursiers à travers le temps pour montrer cette surévaluation. L'indice phare de la Bourse américaine Dow Jones était à 6 700 points de base en janvier 2009. Il s'est retrouvé à 30 500 points au mois de décembre 2019. L'indice boursier allemand DAX était à 2 650 points au début de 2009 ; il atteignit les 13 650 points en décembre 2019. Même chose pour l'indice boursier français CAC 40 de 2 230 à 6 130 points. Au final, qui est le perdant dans cette situation ? Il est vrai que tous les pays de l'Opep et les pays non Opep sont perdants dans cette guerre des prix, mais curieusement ce sont les deux pays qui ont déclenché cette guerre qui se retrouvent sur le podium des perdants. Les Russes ont vu leur monnaie, le rouble, dévisser de 12 à 15% contre les monnaies du panier des sept devises. La Bourse de Moscou a perdu plus de 32% depuis le 5 mars, et la compagnie pétrolière russe Rosneft est menacée d'un déclassement de sa note financière après que sa valeur en Bourse avait perdu 39% depuis le 5 mars. Ces chiffres révèlent l'importance du prix du baril sur l'économie russe. Nous sommes, ainsi, dans notre droit d'avoir des doutes sur la véracité des thèses russes qui affirment qu'un prix du baril de Brent de 42 dollars suffit pour l'équilibre budgétaire de leur pays. De leur côté, les Saoudiens ont perdu plus de 290 milliards de dollars lorsque la capitalisation boursière de leur géant pétrolier Aramco avait baissé de 15% durant la période du 5 au 16 mars. L'agence de notation financière Moody's menace l'Arabie Saoudite de dégrader son Rating d'un cran après cette chute verticale des prix du pétrole qui cause un désastre à l'économie saoudienne. Qu'en est-il des répercussions sur l'Algérie ? L'Algérie se retrouve en tête de liste des pays de l'Opep les plus touchés par ce crash pétrolier et cela, à cause de son économie non diversifiée et très dépendante des prix des hydrocarbures. Pour son équilibre budgétaire, à l'heure actuelle, l'Algérie a besoin d'un prix du baril au-dessus de 93 dollars. Certes, cette baisse des prix du baril de Brent ne durera pas éternellement, mais quelle que soit la correction qui se fera sur les prix, l'impact restera toujours très négatif sur l'économie nationale. Quelle sera, selon vous, la marge de manœuvre de l'Opep dans cette conjoncture ? Un premier élément positif est que, à l'exception de l'Arabie Saoudite, la cohésion entre les pays de l'Opep est toujours intacte. En second lieu, vu les pertes subies par les deux pays (Arabie Saoudite et Russie) qui ont déclenché cette guerre des prix, je pense que la raison et l'intérêt commun ramèneront tôt ou tard ces deux pays à la table des négociations, c'est-à-dire une conférence entre les pays Opep et non Opep, et l'Algérie qui préside l'Opep travaille durement pour la tenue d'une telle conférence. Comment voyez-vous l'évolution des prix sur l'année en cours ? Un baril à 20 dollars dans la conjoncture actuelle n'est pas possible. Même s'ils resteront volatiles, les prix du pétrole vont devoir remonter. Le marché pétrolier international va devoir opérer des corrections. D'ailleurs, le mercredi 18 mars, le prix du baril de Brent avait atteint le plancher de 25 dollars et celui du pétrole WTI les 21,35 dollars. Un renversement de tendance s'est opéré à partir de jeudi 19 mars avec des hausses euphoriques (14% pour le prix du Brent et 24% pour le prix du WTI). À mon avis, les prix du baril de Brent vont atteindre les 40 dollars au second trimestre de l'année 2020, et un prix de 45-50 dollars vers la fin de la même année.