Malgré l'effondrement des prix du pétrole, le nécessaire changement de politique budgétaire n'est pas encore à l'ordre du jour. Les cours du pétrole filent tout droit vers un seuil historiquement "catastrophique" de 20 dollars. Hormis l'annonce d'une loi de finances complémentaire à présenter en urgence, l'Exécutif n'a dévoilé aucune orientation, ni mesure d'ajustement décisif, qui seraient à même d'introduire une logique budgétaire moins en décalage avec la nouvelle réalité du marché pétrolier mondial. Une réalité d'autant plus alarmante qu'elle est appelée à perdurer au moins durant les trois trimestres restant de l'exercice en cours. Lors de sa dernière réunion, consacrée à l'examen d'un avant-projet de loi de finances complémentaire, le gouvernement n'évoque pourtant comme principale préoccupation à prendre en charge que celle de répondre aux engagements du Président, "notamment pour ce qui relève des mesures destinées à alléger la pression fiscale sur les opérateurs économiques et les ménages". Les impérieux impératifs d'arbitrage et d'ajustement budgétaires à prévoir en conséquence à l'érosion des prix du pétrole attendront, quant à eux, une autre loi de finances complémentaire à venir, "avant la fin du premier semestre" de l'année en cours, selon le communiqué du gouvernement. Alors que les finances–déjà très problématiques avant la pandémie–sont menacés d'érosion totale, l'Exécutif entend non seulement maintenir en l'état le projet de financement de ses engagements sociaux et d'allégements fiscaux, mais aussi ne rien changer pour l'heure à la politique budgétaire en vigueur, malgré les déficits abyssaux que celle-ci risque d'induire au point de précipiter une situation de cessation de paiement. Avec une projection à 60 dollars le baril de pétrole Brent, les scénarii servant de cadrage à la loi de finances en vigueur (LF 2020) prévoyaient déjà des évolutions très défavorables des indicateurs économiques et financiers, bien que découlant de prévisions plutôt optimistes d'accroissement des exportations d'hydrocarbures. Tels qu'établis à travers la LF 2020 en tenant compte d'un cours de référence du pétrole à 50 dollars, le déficit budgétaire caracolerait à pas moins de 1 533 milliards de dinars, soit 7% du produit intérieur brut (PIB), tandis que celui du Trésor devait se fixer à plus de 2 435 milliards de dinars, soit 11,4% du PIB. Dans le même contexte, les réserves officielles de change devaient chuter progressivement d'environ 5 milliards de dollars par an pour ne couvrir plus qu'une dizaine de mois d'importations d'ici à 2022. Durant la même période, la valeur de la monnaie nationale devait pour sa part se déprécier de seulement 10% par rapport au dollar, alors que la hausse de l'inflation devait restée contenue sous la barre des 6%. Négatives et inquiétantes à la base, ces perspectives d'évolution des fondamentaux de l'économie nationale répondaient à une conjoncture où tout laissait croire que le cours moyen du baril de pétrole ne devait pas descendre sous la barre de 50 dollars le baril. Désormais divisée par deux, sous l'effet de la guerre des prix pétroliers et de la récession mondiale qui commence, la valeur actuelle du baril de Brent charriera ainsi à coup sûr des aggravations en conséquence des niveaux de déficits internes et externes du pays, une disparition deux fois plus rapide de l'épargne disponible en devises et, à plus ou moins court terme, une dévaluation plus prononcée et peut-être plus brutale du dinar, ainsi que des poussées inflationnistes de plus en plus impossibles à contrôler. Et alors que le gouvernement semble décidé à temporiser jusqu'à la fin du semestre pour mettre en place une véritable loi de finances rectificative, le caractère durable de la crise pétrolière actuelle et la perspective très réaliste d'un baril à seulement 20 dollars risquent d'annihiler, bien avant, toute possibilité d'échapper à la menace d'un ajustement structurel forcé.