"Pouvoir et hirak devraient participer à un dialogue économique national qui proposerait des actions concrètes destinées à diminuer l'exposition du pays aux fluctuations du marché pétrolier et gazier", a recommandé l'ONG. Un dialogue économique national "suivi et approfondi", faute d'un dialogue politique "peu réaliste à court terme", entre le pouvoir et le Hirak, est la voie de salut pour une Algérie en proie à une grave crise économique et sociale des suites de la baisse drastique des cours du pétrole dont dépend presque totalement l'économie du pays, mais aussi de la pandémie du coronavirus. Et les deux parties sont aujourd'hui face à l'impératif d'éviter "une lutte plus offensive", en mettant à profit l'union nationale générée par la pandémie pour permettre au pays de faire face aux "défis posés par la crise internationale de la Covid-19". C'est là, en gros, la conclusion d'un rapport de l'organisation non gouvernementale Crisis Group intitulé "Algérie : vers le déconfinement du Hirak ?". "Les autorités devraient profiter de l'union nationale générée par l'épidémie afin de desserrer leur étau sur la contestation populaire. Pouvoir et Hirak devraient participer à un dialogue économique national qui proposerait des actions concrètes destinées à diminuer l'exposition du pays aux fluctuations du marché pétrolier et gazier", a recommandé l'ONG internationale. Pourquoi ce discours un brin alarmiste ? Réponse de l'ONG internationale : "Les retombées économiques et sociales de la crise déclenchée par la Covid-19 et les mesures de confinement que les autorités algériennes ont mises en place risquent de radicaliser le mouvement de contestation (hirak)." Il est vrai que pour limiter l'impact économique et social de la pandémie, le gouvernement a pris "une série de mesures économiques et sociales d'urgence" et "proactives", a relevé l'ONG, citant le report de deux mois par la direction des impôts, du paiement des revenus imposables et de la Taxe sur la valeur ajoutée (TVA), le rééchelonnement par les établissements financiers des créances de leurs clients, le versement d'une allocation de 10 000 DA aux familles nécessiteuses, etc. Près de 65% des entreprises opérant en Algérie sont à l'arrêt Mais en dépit de ces mesures d'urgence, "la plupart des projections demeurent pessimistes quant à la capacité de l'Algérie, qui tire la majorité de ses recettes fiscales de l'exportation d'hydrocarbures, à faire face à des défis macroéconomiques devenus colossaux en raison de la paralysie économique mondiale", a-t-elle soutenu. Il y a aussi les effets néfastes de la crise sanitaire sur l'économie du pays : près de 65% des entreprises opérant en Algérie sont à l'arrêt, plus de 10 millions de travailleurs informels ont vu leurs revenus sensiblement réduits au cours du confinement partiel. "Vu la conjoncture économique critique, le gouvernement semble n'avoir d'autre choix que de réduire drastiquement les dépenses publiques, ce qui devra se faire de manière graduelle", craint l'ONG. Avec une situation économique aussi critique, la marge de manœuvre du gouvernement est des plus étroites et il pourrait être poussé à prendre des décisions douloureuses comme l'austérité budgétaire, la dépréciation du dinar ou encore le recours — à court terme, craint l'ONG — au soutien du Fonds monétaire international (FMI) et de la Banque mondiale afin de renflouer ses réserves de changes. Sur le plan politique, le pouvoir s'est laissé aller à un "raidissement sécuritaire" durant la pandémie, fermant ainsi la parenthèse des "gestes d'apaisement" ouverte au lendemain de l'élection du président Tebboune, a déploré Crisis Group, allant jusqu'à parler de "revirements". "Cette période de détente relative commence à se fermer à l'approche du premier anniversaire du déclenchement du mouvement, le 22 février 2020, et prend fin lors de la crise de la Covid-19", a noté l'ONG qui, en outre, a estimé que "la liberté d'expression semble être mise à mal", citant le blocage de sites d'information, mais aussi le projet de révision du code pénal. La crispation politique du pouvoir conjuguée à l'aggravation de la situation économique et sociale du pays peut bien déboucher, à l'issue de l'actuelle crise sanitaire, sur "une lutte plus offensive", c'est-à-dire la radicalisation de la contestation populaire. "La levée du confinement partiel pourrait marquer le début d'une période de plus forte agitation sociale. Celle-ci mettrait potentiellement fin au statu quo entre le pouvoir et le Hirak, débouchant sur une lutte plus offensive, dont les conséquences sont imprévisibles", a prédit l'ONG. Cela dit, l'ONG n'a pas écarté le scénario contraire, à savoir l'épuisement du Hirak, notamment avec le retour en force, au sein du pouvoir, des partisans d'"une gestion plus fine des contestations", qui, plutôt que la méthode dure, ont l'habitude de privilégier "la neutralisation des figures du Hirak par la cooptation, le chantage aux dossiers, l'emprisonnement suivi de négociations sur les modalités de réhabilitation conditionnelle, la récupération des mots d'ordre démocratiques et populaires, l'infiltration d'organisations associatives, syndicales et politiques, ainsi que la réorientation de leurs sources de financement". Question : qu'y a-t-il lieu de faire pour éviter au pays une probable exacerbation des tensions sociales ? Si elle juge faible l'hypothèse de l'ouverture d'un dialogue politique "sincère" entre le pouvoir et le Hirak, Crisis Group n'incite pas moins le gouvernement à "profiter de la dynamique d'union nationale générée par l'épidémie de Covid-19", en encourageant certaines initiatives citoyennes "sans les réduire à un simple levier de cooptation politique" et en desserrant l'étau autour du Hirak (libération des détenus d'opinion, levée de la censure des médias, notamment les médias en ligne, fin des arrestations arbitraires, autorisation des réunions des différentes coordinations militantes, consultation et implication des organisations contestataires dans le cadre de la rédaction de la nouvelle Constitution). Sur le plan économique, l'ONG a suggéré aux autorités de "continuer à mettre en place des mesures d'urgence dans la lignée de celles adoptées entre mars et mai 2020 (rééchelonnement des crédits, allocations aux familles dans le besoin, réactivité commerciale pour éviter les pénuries alimentaires)", mais aussi de "surmonter les obstacles qui entravent la sortie de l'économie de rente". Ces réformes ne peuvent devenir une réalité sans un dialogue économique national "suivi et approfondi" qui réunirait, propose l'ONG, "les principales forces politiques, syndicales et associatives, notamment celles impliquées dans le Hirak, des représentants du gouvernement, de la Présidence et, peut-être, de l'état-major, ainsi que des hauts fonctionnaires et les entrepreneurs les plus influents du pays, y compris ceux du commerce informel" permettant de "dégager un compromis pour développer l'économie sans trop menacer les positions acquises". Arab C.