"Les avocats travaillent dans des conditions pénibles, au niveau des tribunaux, des greffes et même des établissements pénitentiaires. Les juges d'instruction ferment la porte aux avocats", affirme Me Lekhlef Liberté : Comment se déroule la reprise de l'activité judiciaire après une grève de 7 jours ? Me Chérif Lekhlef : Croyez-moi, actuellement, c'est la débandade. Au lieu de s'occuper de leurs affaires en cours de procédure, les avocats courent d'un tribunal à un autre pour récupérer des renseignements sur les procès programmés durant la semaine du boycott. Malheureusement, l'accord entre le bâtonnat et les deux principaux chefs des juridictions, c'est-à-dire le président de la Cour et le procureur général (reports systématiques des procès, ndlr), n'a pas été respecté. Les juges de sièges ont majoritairement mis en délibéré les affaires, au pénal et au civil ou les ont carrément radiées du rôle — dans ce cas, redémarrer la procédure à son stade initial. Ils n'ont pas donné la possibilité à la défense de plaider. Dans les affaires civiles et administratives, la loi est pourtant claire : les deux parties concernées dirigent l'audience. Depuis le mois de mars, plusieurs réunions ont été tenues, mais aucune mesure n'a été prise par les chefs de juridictions pour mettre fin à cette situation, soit le refus des avocats de plaider devant le président de la 5e chambre (après le procès en appel de Karim Tabbou émaillé de vices de procédure, ndlr). Nous avons décidé de boycotter aussi la composante de la première chambre pénale à cause de la violation et de l'agression des droits de la défense. Nous ne pouvons tolérer que le bâtonnier d'Alger soit humilié par le président de cette chambre. Justement, le président de la 5e chambre correctionnelle près la Cour d'appel continue à officier des procès, en l'absence de la défense depuis sept mois. Il en sera probablement pareil pour son confrère de la première chambre pénale. Les autorités judiciaires se sont-elles engagées à remédier à cette situation ? Lors de la dernière réunion (jeudi 1er octobre), le président de la Cour et le procureur général, animés de bonne foi, il faut le dire, nous ont promis de régler le problème de la chambre 5 dans un cadre général, éventuellement lors d'un mouvement de magistrats. L'incident d'audience survenu au cours du procès de Mourad Oulmi, le jeudi 24 septembre, est grave (refus du juge de siège de renvoyer les plaidoiries à une date ultérieure, tel que requis par la défense, puis menace d'évacuer le bâtonnier de la salle par la force publique, ndlr). Le président de la Cour nous a promis qu'il y aura du nouveau lors de l'audience du mercredi suivant (30 septembre). Nous nous attendions à une remise en rôle. Nous avons été surpris quand le président a annoncé que l'affaire restait en délibéré jusqu'au 10 octobre. Nous ne savons pas quelle décision il prendra à cette date. Quoi qu'il en soit, ce cas est épineux. Même si le dossier est remis en rôle, les quatre avocats ne plaideront pas devant ce magistrat. Comme ce dernier ne peut pas se dessaisir au profit d'une autre chambre car c'est la fin du procès, nous nous retrouverons tous dans l'impasse. Il faut trouver une solution dans le respect mutuel. Si le magistrat demande des excuses à la défense, les avocats réviseront leur position. Des excuses du président de la première chambre pénale sont-elles vraiment envisageables, d'autant que le SNM l'a naturellement défendu ? Ce syndicat, qui ne représente pas tous les magistrats, a fait de Me Sellini, bâtonnier d'Alger, un accusé. C'est grave. Dans le dernier communiqué, il a parlé de certaines procédures dont la défense n'avait aucune connaissance. Le SNM insinue que le président a donné acte à l'audience de certains faits commis par le bâtonnier, alors que c'est faux. Le président de la Chambre d'accusation n'a jamais donné acte à l'audience. C'est un faux en écriture. Malgré cela, nous ne voulions pas aller loin dans la procédure en déposant plainte au pénal afin d'apaiser la situation, au lieu de répondre à la provocation du SNM. La relation entre les magistrats et les avocats est conflictuelle. Nous le constatons sur le terrain. Il faut que les autorités judiciaires trouvent une issue à la crise, bénéfique à toutes les parties. Le Conseil de l'Ordre des avocats a gelé la grève pendant quinze jours. C'est une sorte d'ultimatum aux autorités judiciaires. Quelles sont vos attentes ? Nous avons soumis au président de la Cour et au procureur général une liste de problèmes auxquels sont confrontés les avocats dans l'exercice de leurs fonctions. Ils travaillent dans des conditions pénibles, au niveau des tribunaux, des greffes et même des établissements pénitentiaires. Les juges d'instruction ferment la porte aux avocats. Ils ne leur remettent pas la troisième copie du dossier à laquelle ils ouvrent pourtant droit. Les avocats n'ont pas accès à tous les documents du dossier pénal, dont les moyens de preuves (rapports d'expertise, CD, etc.). Parfois, le dossier de fond n'est remis, en plus avec des pièces manquantes, qu'après la fixation de la date du procès. C'est une atteinte aux droits de la défense, car il ne lui est pas accordé suffisamment de temps pour élaborer une stratégie en concertation avec les mandants. Le juge d'instruction convoque un avocat pour qu'il assiste à une audition à 9h. Il le fait attendre pendant des heures, sans lui présenter des excuses. Au barreau d'Alger, nous sommes 8 000 avocats. Nous avons demandé aux chefs de juridiction de mettre deux greffiers par chambre d'instruction pour fluidifier le travail. Cette formule, appliquée pendant une période, a été abandonnée. Je suis pénaliste. Je ne prends presque plus de nouvelles affaires, car c'est l'enfer dans les audiences. Le magistrat arrive avec 300 dossiers. Il procède à l'ouverture du procès sans faire l'appel des causes prévu par la loi. Les affaires sont souvent renvoyées à 20h, après une journée d'attente dans l'enceinte du tribunal. Par ailleurs, les magistrats se comportent mal avec les avocats. Ils développent une susceptibilité terrible envers la défense. Ils interrompent souvent les plaidoiries de manière impromptue par l'expression : "En conséquence maître ?" qui formalise les conclusions. Il est urgent de restaurer la dignité de l'avocat et le respect qui lui est dû. Il y a nécessité aussi de doter la profession d'un nouveau statut permettant la protection des intérêts moraux et matériels des avocats en corrélation avec les droits de la défense consacrés dans l'article 170 de la Constitution de 2016. Selon cette disposition, l'avocat jouit de la garantie légale qui assure une protection contre toute forme de pressions et le libre exercice de son métier dans le cadre de la loi. Nos deux interlocuteurs ont promis de prendre en charge ces préoccupations. Ils se réunissent avec les chefs des juridictions et des présidents des sections. Si vos revendications ne sont pas satisfaites dans un délai de 15 jours, que fera le barreau d'Alger ? Revenir à la protesta ? Les autorités judiciaires ne trouveront certainement pas de solutions à tous les problèmes. Mais si dans l'intervalle de 15 jours, les contraintes majeures ne sont pas levées, le boycott de la session criminelle sera probablement acté, à nouveau. Ça fera mal, car le magistrat ne peut pas juger une affaire criminelle sans la présence obligatoire des avocats, tout comme les procès des mineurs. Le point afférent aux procès par vidéoconférence n'a pas été abordé lors des rencontres entre le Conseil de l'Ordre et le président de la Cour et du PG. Pourtant, les avocats s'insurgent contre cette procédure. Qu'en pensez-vous ? Le tort incombe à l'Union nationale des barreaux qui n'ont pas réagi à temps à l'adoption, au mois d'avril, de l'Ordonnance 04-020. Juger un prévenu à distance est une pure atteinte aux droits de la défense. Dans un procès, le prévenu est confronté avec les déclarations des témoins ou de coaccusés, aux moyens de preuves à charge et à décharge, à certaines procédures... Qu'il soit jugé à travers un écran est une violation des principes de l'article 212 du code de procédure pénale. Le juge de siège motive sa décision (le verdict) sur la foi des débats lors de l'audience.