Dans cette interview, Omar Berkouk réagit à la décision du gouvernement d'ouvrir le capital des banques publiques, à la faisabilité de cette démarche, ainsi qu'aux raisons essentielles ayant motivé cette décision. Liberté : Le ministre des Finances a annoncé la semaine dernière la volonté de l'Etat d'ouvrir le capital des banques publiques. Pensez-vous que la baisse de la liquidité bancaire et l'absence d'alternative à la planche à billets ont été les principales raisons ayant motivé cette décision ? Omar Berkouk : En effet, la situation alarmante des banques publiques n'est que le reflet de la situation difficile de l'économie nationale qui subit les conséquences d'une pandémie et d'une baisse drastique de ses revenus. Elle pose la question du financement des besoins du pays, en termes de déficit budgétaire et de ressources pour les entreprises publiques et privées. L'aide que la Banque centrale a apportée aux banques primaires en abaissant le niveau des réserves obligatoires à 3% (niveau historiquement très bas), en réduisant à 3% son taux directeur et en assouplissant ses interventions sur l'Open Market semble insuffisante au regard de leurs capacités à remplir leur mission et en raison de l'état de leur bilan, grevé par l'ampleur des crédits "non performants". Ces banques ont besoin d'être recapitalisées ou bien "déchargées" par l'Etat de ces mauvais crédits pour reprendre correctement leurs activités de financement. Elles vivent une crise de liquidité et non pas de solvabilité, en raison de la garantie implicite de l'Etat. En 2016, elles avaient également vécu un épisode, moins grave qu'aujourd'hui, de tension sur leur liquidité qui a été résolu par l'adoption du financement non conventionnel en octobre 2017. La Banque centrale avait mis en effet à la disposition du Trésor 6 500 milliards de dinars ! Ces montants colossaux avaient remis de la liquidité dans les circuits économiques. Si elles sont privatisées partiellement, les banques publiques seront-elles pour autant tirées d'affaire lorsque l'on sait que ces établissements croulent sous le poids des prêts improductifs et des créances sur les grandes entreprises publiques et/ou sur les entreprises dont les patrons font l'objet de mesures judiciaires ? Le souci de l'Etat est double ; trouver des ressources financières pour couvrir son impasse budgétaire et remettre sur "pied" des banques publiques pour qu'elles puissent jouer leur rôle dans le financement de l'économie nationale. Mais il n'a plus les moyens "conventionnels" de le faire. La solution de l'ouverture du capital de ces institutions bancaires s'impose comme alternative incontournable. L'Etat envisage de privatiser partiellement, toutes ou certaines de ses banques. Cette opération nécessite un processus d'évaluation long et peut être de "clean-up" des bilans pour les rendre attrayantes aux investisseurs potentiels. Il sera nécessaire d'isoler les mauvaises créances dans une structure de défaisance qui pourrait être refinancée exceptionnellement par la "planche à billets". Les nettoyer est une condition nécessaire mais pas suffisante. Tout le management doit être revu et une nouvelle façon d'exercer le métier doit être adoptée. L'Etat devrait perdre sa tutelle opérationnelle même s'il conserve 80% du capital de ses banques pour ne pas retomber dans les affres du passé. L'accepterait-il ? Y aurait-il, tout compte fait, de potentiels investisseurs dans le secteur bancaire en cette période de crise financière et de crise de confiance ? Le secteur bancaire international est en pleine mutation. Il subit la pression de la réglementation, des effets dépressifs des taux d'intérêts négatifs, de la baisse de rentabilité des réseaux et de la concurrence des Fintech et des néo-banques. Il est à la recherche d'un nouveau modèle de développement. Les grandes banques européennes se restructurent en reconsidérant leurs implantations à l'international. Elles préfèreront à l'avenir être présentes dans les pays émergents sous une autre forme que celle de banque traditionnelle de plein exercice. La forme digitale aura leur préférence. Dans ce contexte pourquoi rachèteraient-elles une part minoritaire de la BEA, de la BNA, du CPA... ? Quant aux autres investisseurs internationaux non-banquiers, ils ont vendu ou vendent leurs participations dans les banques traditionnelles pour investir dans les Fintech ! Il est évident que l'intérêt pour l'Etat de consentir une ouverture du capital de ses banques est double : améliorer le niveau de leurs fonds propres et leur apporter du know how en industrie bancaire. Il reste la solution d'une "privatisation" au profit des investisseurs domestiques par introduction à la Bourse d'Alger et des opérations d'augmentation de capital.