Rarement la disparition d'une personnalité a suscité une telle émotion planétaire. La mort du légendaire numéro dix de l'Albiceleste, Diego Armando Maradona, a bouleversé des millions et des millions de personnes à travers le monde. En ce mercredi 25 novembre, toute la terre était triste. Sauf peut-être le ciel qui était heureux de voir arriver en son sein un être aussi exceptionnel. Il n'était ni ange ni démon. Peut-être les deux à la fois. De toute manière, il a vécu l'enfer et le paradis de son vivant, lui le miraculeux. Mais pour ses fans, il est presque un Dieu. Dans son Argentine natale, il est plus qu'un prophète. Il est déifié. Un élu. Il est la complexité humaine. Mais, comment ce gamin sorti presque du néant des quartiers les plus pauvres de Buenos Aires est devenu un garçon en or qui a fasciné le monde entier ? Comment cet enfant pauvre est-il devenu un enfant roi que le soleil a couronné jusqu'à trôner sur le toit du monde ? Il y a le magicien qu'il fut sur les terrains de football en faisant trembler le sol sous ses pieds et dérouter tous ceux qui se dressaient sur son chemin sur les terrains. De la Bombonera jusqu'à San Paolo en passant par le Camp Nou, il émerveillait, enchantait et régalait par ses prouesses et ses fulgurances dont seul lui détient le secret. Des gestes techniques incomparables qui ont culminé à l'Estadio Azteca, l'antre dans lequel il a "vengé" son peuple humilié. Ce jour-là, il a rendu la fierté aux Argentins. Si les Anglais ont vaincu par les mitraillettes aux Malouines, Diego a triomphé sur "Sa Majesté" par l'art, la manière et la "main de Dieu". Il n'a tué personne, mais il a rendu heureux les faibles et a fait plier les dominants. C'était la naissance du mythe Maradona qui transforme le magicien Diego. En emmenant son équipe sur le chemin de la victoire finale, le capitaine prend une revanche sur le destin, le sien, celui de son Argentine qui sort petit à petit de la longue nuit de la dictature militaire et, dans une large mesure, celui du Sud écrasé. Désormais et à 26 ans, le plus célèbre des Argentins côtoie les cimes sans jamais oublier les bas-fonds d'où il était parti et qu'il ne trahira jamais. Les riches se le disputent et les puissants rêvent de poser avec lui et l'inviter à leur table. Pourtant, à ces irrésistibles appels, Maradona ne cède point. Il s'éloigne pour se rapprocher des siens. Il préfère répondre aux cris des faibles qui résonnent chez lui comme un hymne. Lorsqu'il reçoit l'invitation du président Ronald Reggan en 1987, il se rend à La Havane de Castro. Comme pour signifier à tous le monde auquel il appartient. Il est, à sa manière, dans la lignée de son compatriote Che Guevara qu'il porte comme un étendard sur son épaule droite. Ce qui renforce ce mythe ancré à gauche. Aboutissement d'une sensibilité politique que ce "géant" de 1,67 m a toujours revendiquée. Et ce n'était pas un hasard s'il a fait le choix du sud de l'Italie pour défendre les couleurs de Naples face à l'hégémonie de Milan, Turin et Rome. Cela correspondait indubitablement à cet esprit dissident qui forge le gaucher d'Argentine. Sans trop faire dans l'idéologie, Maradona a vite pris conscience — naturellement — des inégalités et des injustices qui brisent la vie et les rêves des millions de personnes. Comment ne pas l'être, lui qui était le produit de cette machine infernale à fabriquer la misère. D'évidence, c'est ce qui a fait que "El Pibe de oro" n'a jamais raccroché les crampons. Après une vie — tanguant entre la gloire et l'abysse — des stades, s'ouvre un autre combat livré sur des terrains tout aussi risqués. Celui de l'engagement frontal. Dans la grande bataille qui opposait les dirigeants de gauche de l'Amérique latine face à l'Empire, Diego Maradona était de la partie. Il n'a pas raté ce match existentiel dans lequel il a joué contre le président américain George Bush. La confrontation entre les deux hommes a eu lieu en novembre 2005 à Mar Del Plata en Argentine où le locataire de la Maison-Blanche est venu défier l'Amérique latine chez elle. Entamant une tournée dans le continent sud-américian, à l'occasion d'un sommet réunissant 34 pays pour l'instauration d'une zone de libre-échange des Amériques (Alca), le chef d'Etat américain croise son opposant inattendu. Venu à bord d'un train de Buenos Aires, bondé de nombreux anti-impérialistes et en compagnie d'Hugo Chavez, chef de file des leaders de la gauche latino-américaine, et de celui qui deviendra président de la Bolivie, Evo Morales, le capitaine d'équipe demande à ce qu'on "chasse" Bush. Portant un t-shirt sur lequel est écrit "War criminal", Maradona galvanise les foules massées dans le stade de Mar Del Plata et lance : "Je vous aime, l'Argentine est digne, virons Bush", acclamé par les milliers de personnes présentes, mais aussi par des millions de Latinos. Cet épisode dit tout sur un Maradona engagé, battant et rebelle. C'est sans doute cet aspect de sa vie qui a fait de lui l'icône adulée. Son retour incessant à ses origines sociales a fortement contribué à renforcer ce lien aussi magique et mystique qui le lie à des millions de personnes partout dans le monde. Et c'est certainement pour cette raison que sa disparition a endeuillé des peuples entiers.