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Une catharsis révélatrice
"Déflagration des sens" de Karim Akouche
Publié dans Liberté le 19 - 05 - 2021


Par : ROBENSON BERNARD
JOURNALISTE, POÈTE ET ECRIVAIN HAITIEN
"Forcé de subir l'indifférence du monde de manière courageuse, l'écrivain algéro-canadien Karim Akouche situe dans son dernier roman le sens de la vie justement dans l'absence de sens. Et s'insurge contre la rationalité humaine ou son néant qui cherche à s'accommoder du réel. L'engagement paraît solitaire. Atypique."
Déflagration des sens (publié aux éditions Frantz-Fanon) est une œuvre remarquable. Un roman d'une haute et noire singularité, pour tout dire. Karim Akouche, auteur algéro-canadien, ôtant avec amertume les lunettes que le carcan existentiel ou, si l'on préfère, que l'idéologie "woke" (William Melvin Kelly) lui ont placées sur le nez, écrit comme pour réitérer sa tolérance zéro face aux effets surprenants de l'ennui et ses corollaires inquiétants. Les détails sont de taille. Il a peut-être raison de se morfondre, de hurler, de se languir, de se serrer les poings pour se battre dans le vent.
À le lire, on sent l'ennui, araignée silencieuse, filer sa toile dans l'ombre à tous les coins de son cœur, selon une formule de Flaubert reprise avec élégance par Frantz-Antoine Leconte dans sa thèse "La tradition de l'ennui splénétique en France" (1995).
Placé dans le sillage des écrivains de l'absurde et/ou de la révolte, comme Sartre, Fanon, Camus, Jaccottet, Souppault, Cioran, il tire parti des expériences quasi-mystiques de sa naissance. Toutes ses évocations déguisées en fiction sont à la fois troublantes, déroutantes, voire traumatisantes. Forcé de subir l'indifférence du monde de manière courageuse, il situe le sens de la vie justement dans l'absence de sens. Et s'insurge contre la rationalité humaine ou son néant qui cherche à s'accommoder du réel. L'engagement paraît solitaire. Atypique.
Tour à tour romancier, essayiste, poète, conteur et éditeur, Karim Akouche se consacre de plus en plus à sa carrière d'écrivain. Il prend conscience du non-sens de la vie pour aboutir à la découverte des valeurs qui confèrent à l'action son sens et sa légitimité.
Le livre est marqué d'un pessimisme fécond vis-à-vis des rapports humains. Le narrateur, électrisé de pouvoir balancer ses idées généreuses ou leurs avatars, estime que toute interaction est une lutte inéluctable entre deux consciences dont chacune veut se faire dieu, affirmant sa propre subjectivité pour se définir comme objet divin en essayant de transformer l'autre en objet à travers son regard. Même les relations les plus intimes sont une confrontation des caractères hostiles, et même les gestes les plus altruistes ne sont que des stratégies qui visent la limitation systématique de la liberté subjective de l'autre.
À travers ses personnages, Akouche a l'impression d'être un "bâtard" privilégié et de profiter vainement d'une vie qui n'est pas la sienne.
Ô vertu de la nostalgie ! Son sentiment de "bâtardise" lui laisse des idées relevant de l'absurde. En conséquence, il voit "sa garce de vie" se mettre à danser devant ses yeux. Dès lors, il a compris que quoi qu'on fasse on perd son temps. Alors autant choisir la folie, comme disait Jack Kerouac (Jean-Louis Lebris de Kerouac, de son vrai nom).
Livre inspiré de Sade, Kafka, Nietzsche, Baudelaire, Lautréamont, Céline, Miller, Dante et de bien d'autres "cinglés" de la littérature, Déflagration des sens fera date. Si l'on ne se trompe.
On imagine accessoirement l'apparition remarquable de Karim Akouche, s'il en est besoin, sur le plateau d'Oprah Winfrey, d'Anne-Elizabeth Lemoine, de Léa Salamé, de Caroline Roux et Axel de Tarlé, de Natacha Polony, de Denis Lévesque ou au micro de Lionel Trouillot, de Marvel Dandin, ou sous la plume de Pierre-Raymond Dumas, de Frantz Duval.
Une fiction autobiographique ?
Il faut faire un examen des liens entre le contrat de lecture, les voix narratives et la construction du moi identitaire dans ce roman qu'il faut lire non pas comme un recueil de fantasmes associé à un projet lié aux tendances orwelliennes, mais comme une œuvre libre, susceptible d'agir sur des valeurs intrinsèques, des normes marginales et fidèles à la pensée post-structuraliste (quant à la méthode) de Gary Klang telle qu'exprimée dans Monologue pour une scène vide (éditions Dialogue Nord-Sud, Montréal, 2013).
Dès l'incipit, le narrateur apparaît avant tout comme étant le fleuron d'une idéologie sans ombres portées. Ses glissements théoriques sont provocateurs. Il insiste sur un trait précis de la métaphore ou de l'hyperbole qui remet Klang à sa juste place : une place majeure qui tourne bien sûr vers des problématiques encore plus profondes et plus sérieuses. Si l'on ose dire. Là où Klang est absent, Akouche est présent. Et vice-versa.
Chacun réussit sa petite révolution du langage romanesque. Sans être forcément "révolutionnaire".
Déflagration des sens est tourné en faveur d'un état d'esprit militant, combatif, grotesque et "politiquement incorrect" qui renvoie au courant intellectuel bien ou mal compris par Bret Weinstein qui le rattache à ce qu'il appelle "la nouvelle gauche identitaire". Il dessine les contours d'une pensée alternative capable d'hystériser les acteurs du système (Michel Crozier) et de galvaniser les imperturbables interactions sociales de notre temps. Ce n'est pas anodin. Il rejette l'artificialité de la rhétorique officielle. C'est la résonance des Raisins de la colère de John Steinbeck (prix Nobel en 1940). Chaque mot, chaque signe du texte est saisi d'un vertige marqué par le postulat d'une instance transcendante, d'un signifié dernier qui se propose d'arrêter l'affolement de la chaîne signifiante. L'utilisation de la première personne et les temps du discours ne sont pas sans importance. D'une page à l'autre, la métaphore éclate comme si quelque chose se saisissait de l'auteur pour faire apparaître en lui les premiers signes d'une "grève intérieure" (Saint-John Kauss) ou d'un délire paranoïaque. On le voit qui surplombe des paysages, dégringole, chute, divague, proteste, fulmine, perd le contrôle de sa démarche pour avoir plus d'emprise sur le réel. Ou ses avatars. Les images sont fugaces : sorte de flashes oniriques, grisants, angoissants, désespérément puissants. Karim Akouche fait tomber de manière décisive bien des masques.
Si on lit le livre à rebours, on s'aperçoit sans effort de l'évolution de l'auteur de La religion de ma mère et d'Allah au pays des enfants perdus, à ceci près que l'abstraction, le non-linéaire, l'absence d'intrigues ont cessé de constituer des éléments importants de ses techniques narratives. Ce qui confère à son roman le caractère d'un artefact autobiographique où l'auteur et le narrateur sont à démêler comme des écheveaux.
Du point de vue de sa structure, Déflagration des sens se dilue donc selon trois régimes distincts : satirique (pulsion/véhémence), ludique (frivolité/répulsion), philosophique (sagesse du raisonnement logique et irrationnel). Le corpus est saisissant. Le biographiquement fictionnel en appelle à une entreprise discursive, iconique (Lanson), déterminée par un inconscient (Freud) et dont le fil conducteur ne peut être qu'un champ de signes (Bourdieu). Sans être sociologue, le narrateur devine les crises. Il a le flair du chacal. Mais loin de lui l'idée de baisser la garde. "Il joue le marginal qui a de la classe : son béret vient de La Havane, son mocassin de Rome, son jeans de Los Angeles." Et dire que dans ce roman qui vaut la peine d'être lu d'une traite, le conflit salutaire ou périlleux de générations se substitue à celui de classes.


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