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Débat, le clair de l'obscur
IL DEVIENT DE PLUS EN PLUS DIFFICILE DE DISCUTER DES SUJETS QUI FÂCHENT
Publié dans Liberté le 28 - 06 - 2021

Faut-il tout dire et tout débattre ? La question n'est pas d'ordre philosophique, mais relève de la capacité de la société à interroger - sans tabou - ce qui fonde son existence, son histoire, ses croyances et ses symboles, mais également l'apport de ses hommes et femmes à la construction de son imaginaire. Ne dit-on pas que du débat jaillit la lumière ?
Politique, histoire, identité, religion... le débat autour des questions essentielles qui agitent la société algérienne est-il devenu impossible ? À voir le tollé que soulèvent à chaque fois les opinions exprimées sur tel ou tel sujet par des acteurs politiques, des activistes, des intellectuels ou, parfois même, par de simples citoyens, la libre expression est vouée aux gémonies.
D'abord par le tribunal des réseaux sociaux si prompts à monter à l'échafaud avant même d'avoir tous les éléments pour juger, et, ensuite, par les voies juridiques dont la criminalisation de l'expression a tendance à devenir la règle.
L'arrestation puis la présentation devant le juge de Nordine Aït Hamouda à la suite de ses déclarations tonitruantes sur l'Emir Abdelkader, dans une intervention sur la chaîne El-Hayat TV, montrent à quels points la simple évocation d'un certain nombre de sujets liés à notre histoire et aux acteurs qui l'ont marquée peut conduire rapidement en prison.
De tels dossiers demeurent pourtant du domaine de la controverse et sur lesquels — y compris les historiens — n'arrivent pas à accorder leurs violons.
Ce qui est tout à fait normal pour des événements historiques dont l'interprétation dépend énormément de la lecture qu'on en fait, des renseignements et des preuves dont on dispose. Mais là n'est pas le propos. Car il va de soi que la recherche de la vérité ne peut faire l'économie du débat, de l'échange.
C'est pour cela que la liberté d'expression est à tout point de vue essentielle pour étouffer les brouilles et résoudre les désaccords qui agitent la société. Et il échoit à l'Etat, à travers ses institutions, de mettre en place les encadrements et autres artifices juridiques permettant, d'un côté, de délimiter le champ éthique qui devra être, dans tous les cas, respecté et, d'un autre, veiller à ce que la pensée ne soit victime d'un quelconque ostracisme.
L'acharnement judiciaire subi par l'islamologue Saïd Djabelkhir, pour avoir répercuté une opinion qui fait partie d'un débat agitant le monde musulman depuis des siècles, constitue une preuve tangible qu'il existe des sujets, comme celui de la religion, devenus tellement tabous, qu'il devient risqué de s'aventurer à exprimer ses idées. Là aussi, les réseaux sociaux ont précédé l'appareil judiciaire dans l'énonciation de la sentence.
La libre-pensée apparaît presque comme un crime de lèse-majesté promis au châtiment, voire au bannissement. Mais à y voir de plus près, il n'y a pas que les thèmes de l'Histoire et de la religion où le simple fait d'exprimer une opinion s'en trouve criminalisé.
Mener une activité politique, exercer son métier ou rapporter une information, au demeurant vérifiée sur le terrain et preuve à l'appui, peut rapidement déclencher le tollé et conduire à la disgrâce.
Les pressions exercées sur les formations politiques de l'opposition, la presse, les activistes, les associatifs, les internautes révèlent l'ampleur de la judiciarisation du politique, de la presse et de l'expression, de manière générale.
Et si la Constitution adoptée par référendum populaire le 1er novembre 2020 garantit clairement la protection des droits et libertés individuels et collectifs, les lois organiques promulguées depuis, par ordonnance, ne cadrent pas avec l'essence de la Loi fondamentale.
L'emprisonnement et les poursuites judiciaires intentés contre des journalistes pour des faits liés directement à l'exercice de leur métier, comme cela est le cas pour notre correspondant à Tamanrasset, Rabah Karèche, notre journaliste au bureau d'Oran, Djamila Loukil ou d'autres professionnels, à l'image de Khaled Drareni, D'El-Kadi Ihsane... sont un exemple type de cette contradiction entre la Constitution et les lois qui en découlent.
Ainsi, alors que la Loi fondamentale énonce que "le délit de presse ne peut être sanctionné par une peine privative de liberté", le code pénal laisse la porte ouverte à l'incarcération de journalistes.
La propension à la judiciarisation de dossiers ou litiges qui peuvent trouver traitement par le biais d'instruments traditionnels, comme la médiation ou les conseils d'éthique et de déontologie, n'est évidemment pas de nature à décrisper la société. Loin s'en faut. Surtout que le pays traverse une phase charnière de son existence.
La crise politique demeure entière avec l'abstention record enregistrée lors des dernières législatives qui a révélé un fossé de confiance entre les Algériens et leurs institutions. Les difficultés financières pointent à l'horizon car les réserves s'amenuisent. Une telle situation aurait dicté une politique qui tend vers l'apaisement pour ne pas amplifier les tensions existantes.

Hamid SAIDANI


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