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SERAIDI PERD SES FEUILLES
DJEBEL EDOUGH COUVERT DE CENDRES
Publié dans Liberté le 25 - 08 - 2021

Les habitants vaquent paisiblement à leurs occupations, du moins en apparence, et on peine à croire qu'il y a quelques jours, cette agglomération, perchée à près de 900 mètres au-dessus d'Annaba, était cernée par les flammes qui ont dévoré des milliers d'hectares.
Après le douloureux épisode caniculaire et les incendies qui ont dévasté une partie importante du couvert végétal du mont Edough, la vie a repris son cours dans le petit village de Seraïdi. Sur la place centrale les habitants vaquent paisiblement, du moins en apparence, à leurs occupations et on peine à croire qu'il y a quelques jours cette agglomération perchée à près de 900 mètres au-dessus d'Annaba était cernée par les flammes et que les autorités locales ont pensé un moment à évacuer la population devant l'intensité du sinistre, qui a dévoré des milliers d'hectares.
Avec le recul de la chaleur et alors que l'on respire enfin, les craintes comme les fumées se sont peu à peu dissipées et l'on parle déjà au passé à Seraïdi, de ces journées, de ces heures infernales, lorsque le thermomètre affichait jusqu'à 49°C et que la bande de feu encerclait les lieux avant de se propager telle une furie dans l'immense forêt qui descend jusqu'à la mer, au Nord et vers les localités de Chorfa et d'El-Eulma à l'Ouest.
"Nous n'avons jamais vécu pareille situation dans notre patelin, même s'il y a déjà eu des incendies. Les feux de forêt les plus violents que nous avons subis il y a une dizaine d'années ont, à chaque fois, été circonscrits dans la journée même, sinon le jour suivant. Mais là c'était différent, Seraïdi et toute la région étaient entourés par d'épais nuages noirs et par une neige de cendres et je ne parle pas de la chaleur étouffante qui a régné des jours durant", confie ce septuagénaire rencontré sur la placette ombragée en rappelant que son village est un havre de paix. "Des centaines de touristes, de gens de passage viennent de partout ici en famille pour la fraîcheur et la pureté de l'air, qui ne dépasse jamais les 20°C au plus fort de l'été.
Il en est qui passent la saison estivale entière", soupire-t-il en nous montrant du doigt l'immense étendue de forêt qui entoure Seraïdi et la mer en contrebas. Revenant au sujet qui nous intéresse, "Âmi Boubakeur" consent à raconter par le détail la journée particulière du 11 août, telle qu'il l'a vécue, avant et après que les canadairs n'interviennent pour épauler les éléments de la Protection civile qui combattaient les flammes aux côtés des militaires et des volontaires.
Une journée durant laquelle tout aurait pu arriver, souligne Âmi Boubakeur, en levant les yeux au ciel, en signe de reconnaissance à l'Eternel. Jardinier de son état, ce dernier se présente fièrement comme un "djebaïli" pur jus, un de ces montagnards, qui, de tout temps, ont travaillé la terre, un peu partout dans la forêt de l'Edough en y cultivant la moindre parcelle pour alimenter la ville d'Annaba en primeurs, pommes, poires, noix, noisettes, fraises, framboises... et même en figues de Barbarie, mentionnera-t-il malicieusement.
"Je ne me suis pas rendu sur les lieux, mais je sais que ce sont les habitants de Bouzizi ceux d'Aïn Barbar, qui ont évité de peu la catastrophe. À un moment donné des nouvelles alarmantes nous sont parvenues de ces deux localités. Nous avons cru que c'en était fini pour les familles qui y résident. Heureusement qu'il n'en a rien été." Une fois à Bouzizi, où nous nous sommes rendus, nous comprenons véritablement ce qui justifie les craintes du vieux Boubakeur. Ce lieudit d'un millier d'habitants tout au plus, juché en pleine forêt à plus de 200 mètres au-dessus de Seraïdi est, en effet, totalement enclavé et aurait pu être facilement dévasté par les incendies de ces derniers jours. Tout au long du sinueux CW16, seule voie carrossable pour y accéder, la végétation verdoyante a disparu sous une couche de cendres. Les chênes-lièges des sous-bois ont été consumés et la terre a pris la couleur du charbon, alors que l'odeur de brûlé, une semaine après les incendies, prend à la gorge, par endroits.
Fleur de l'Edough brûlée
"Nous avons eu très peur pendant des jours et maintenant nous avons des doutes pour notre avenir", explique Mme Amel Bendjemil, la présidente de la coopérative Fleur de l'Edough, qui depuis la fenêtre de la Maison de jeunes, où son association de femmes rurales a élu domicile, ne voit plus qu'un paysage de désolation.
Dans cette localité, qui a pu être sauvée du sinistre grâce au courage de ses habitants qui, seuls, ont lutté contre les flammes pendant plusieurs jours, une soixantaine de familles vivent de l'exploitation des plantes aromatiques, menthe, romarin et lentisque qu'elles transforment, depuis 2014, en huiles végétale et essentielle. Une activité que ces femmes laborieuses ne pourront plus exercer, pour un temps du moins. C'est ce qu'appréhende la gérante de la Fleur de l'Edough, Samira, qui redoute que les pouvoirs publics, déjà réticents, ne ferment définitivement l'accès des forêts aux cueilleuses par crainte de nouveaux sinistres.
Cette universitaire passionnée par la distillation des plantes rappelle que les services de la protection des forêts n'ont jamais autorisé officiellement les femmes qui collaborent avec la coopérative à procéder à l'arrachage des feuilles utiles à l'activité, malgré les maintes demandes introduites auprès de l'administration concernée.
Elle reconnaît pourtant que les services des forêts ont jusque-là fermé les yeux par empathie ou par compassion sur les intrusions des unes et des autres de ses collaboratrices dans les zones connues pour l'abondance des plantes dont la coopérative a le plus besoin. "J'ai vu de mes yeux les flammes, sauter d'un arbre à l'autre dans cette partie de la forêt et je vous assure que c'est traumatisant. Je me dis parfois que c'est un mauvais rêve et que cela n'est jamais arrivé. C'est pourtant la triste réalité. Cette végétation luxuriante est bel et bien anéantie et il faudra des années pour qu'elle se régénère", lance cette jeune femme en souhaitant que la Conservation des forêts accepte enfin de concéder des parcelles de terre à leur association pour qu'elles puissent enfin y cultiver les arbres et les plantes tant convoités.
"Notre situation était précaire, elle devient désespérée aujourd'hui après cette calamité. Il nous faudra pourtant nous relever et nous reconstruire", renchérit avec aplomb Mme Bendjemil, en signalant que pour l'heure, une timide chaîne de solidarité s'est constituée en faveur des sinistrés de Bouzizi, mais que la plupart des volontaires qui se présentent se limitent à porter secours aux familles qui ont perdu leurs biens.C'est le cas de ces habitants versés dans l'élevage, qui ont perdu leurs ruches, leur bétail bovin notamment qui ont bénéficié de l'élan d'entraide matérialisé par des dons de produits alimentaires et d'un peu d'argent seulement, mais qui ne sauraient compenser les pertes subies, se désole la présidente de la coopérative Fleur de l'Edough.
La présidente de la coopérative "Miel de l'Edough", Mme Rahal Khadidja, se dit soulagée parce qu'elle a pu sauver la plupart de la centaine de ruches qu'elle et ses coopératrices exploitent en pleine nature dans la subéraie d'Aïn Barbar. "Dès que les feux ont pris de l'ampleur et ont commencé à descendre vers la mer et à hauteur de la presqu'île d'Aïn Barbar, nous avons pris les devants en louant des pick-up sur lesquels nous avons chargé les boîtes d'apiculture, que nous avons aussitôt mises à l'abri à proximité de Bouzizi en attendant l'accalmie", se réjouit cette dame.
Elle regrette cependant que les autres exploitants, une dizaine de particuliers résidant dans les hameaux avoisinants, n'ont pas eu la même chance. "Les pertes sont totales pour le plus grand nombre des éleveurs et il n'est même pas sûr que les demandes de dédommagement que ceux-ci ont déposées soient prises en compte, vu qu'ils n'ont jamais contracté d'assurance, tout comme les propriétaires de vaches, de moutons et de chèvres de la région, qui négligent cette pratique", regrette-t-elle en se disant solidaire avec ces éleveurs.
C'est par Mme Rahal que nous apprenons que les sinistrés ont reçu la visite d'une équipe de fonctionnaires qui ont recensé les pertes subies par les habitants des mechtas reculées et que des membres de l'APC de Seraïdi ont pris note, eux aussi, des déclarations des fellahs concernés. Personne n'est dupe pour autant, car il est certain que les autorités et les caisses d'assurances surtout ne délieront pas facilement leur bourse par crainte des fausses déclarations. Il faut juste espérer que les bons ne paieront pas pour les mauvais, cette fois, car le préjudice subi est énorme pour beaucoup d'exploitants et d'agriculteurs.

Reportage réalisé par :: AHMED ALLIA


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