Rompant avec sa diplomatie modérée, Alger se devait de réagir fermement pour mettre un terme à l'incessant et systématique harcèlement marocain. Depuis l'annonce de la suspension des relations diplomatiques, l'Algérie a repris l'initiative, mettant le Maroc face à ses responsabilités. Ce n'est pas de gaîté de cœur qu'Alger a décidé de riposter de manière aussi forte. La sentence tranche avec sa pondération en matière de politique étrangère. Inévitable. Il fallait passer par la rupture des relations diplomatiques pour pouvoir mettre un terme à l'incessant mouvement d'hostilité marocaine dont le territoire est devenu aussi une base de pilonnage des pays tiers. Sans cela, Rabat – visiblement habitué à la patience-passivité algérienne – serait passé à un niveau supérieur dans l'escalade. Depuis sa normalisation avec Israël concomitamment à la reconnaissance de l'Administration américaine de la marocanité du Sahara occidental, le régime alaouite s'est senti assez puissant pour faire "la guerre" à son voisinage immédiat. Il s'est permis de provoquer une crise diplomatique avec l'Espagne en recourant au chantage migratoire. Face à l'Allemagne, quelques semaines auparavant, il a suspendu ses relations bilatérales avec le rappel de son ambassadeur. Mais c'est contre l'Algérie que le royaume a le plus déployé son arsenal. La déclaration de son représentant permanent aux Nations unies, Omar Hilal, soutenant ouvertement la partition de l'Algérie, était la première salve dans ce qui s'apparentait à une offensive savamment orchestrée. L'affaire Pegasus qui a révélé une vaste opération d'espionnage visant plus de six mille Algériens dont des hauts dirigeants politiques et militaires est venue confirmer cette politique belliqueuse adoptée par la monarchie marocaine. Un camouflet. S'en sont alors suivies les déclarations hostiles du ministre des Affaires étrangères de l'Etat hébreu, Yaïr Lapid, depuis Rabat et en présence de son homologue, Nacer Bourita. C'était "le geste de trop. Une atteinte directe à la sécurité nationale qui ne pouvait pas rester sans suite. L'Algérie ne devait ni ne pouvait ne pas réagir", a jugé un diplomate algérien aujourd'hui à la retraite. Cette nouvelle attaque qui a mis le feu aux poudres coïncide avec les flammes qui ont ravagé le pays, notamment en Kabylie. Il fallait donc sortir du bois, reprendre l'initiative et dicter les nouvelles règles du jeu. Continuer de subir les événements sans réagir, c'était courir le risque de perdre la bataille sans même l'avoir livrée. "Il fallait une réaction forte, d'autant que les puissances régionales et internationales ont laissé faire, si elles n'ont pas soutenu en sourdine la stratégie marocaine", commente un fin connaisseur des relations internationales. Encerclement et harcèlement ! D'évidence, la contre-offensive algérienne a contraint le Maroc au repli. Pour l'instant du moins. Mais son impact a eu un effet régional. Soudainement, les pays de la région se sont mis à regarder autrement la région déjà chargée de conflits aussi explosifs les uns que les autres. Nombreux sont les observateurs qui considèrent que Rabat "s'attendait à une réaction algérienne, mais pas de cette nature. La rupture des relations diplomatiques est une étape ultime avant celle de la guerre. Ils se trompent ceux qui veulent minimiser ses conséquences". Au lendemain de l'annonce de Ramtane Lamamra, plusieurs pays appellent au calme et au dialogue. Depuis, le "téléphone rouge" ne cesse de sonner. Familiers du "dossier algéro-marocain", les Saoudiens multiplient les démarches pour tenter de rétablir le "dialogue" ou, du moins, pour éviter que la situation ne se dégrade davantage. C'est dans cet esprit que Le Caire s'emploie également à calmer les esprits, alors que la sous-région est enferrée depuis des années dans une zone de conflits presque ingérables. Vont-ils parvenir à détendre le climat ? Ne fallait-il pas agir avant ? Les alliés du Maroc n'ont-ils pas soufflé sur les braises pour pousser l'Algérie vers l'isolement ? "Les efforts des uns et des autres doivent avoir pour objectif d'éviter une plus grande dégradation de la situation ou un éventuel dérapage plutôt qu'une annulation de la décision algérienne même sous conditions. Si les puissances régionales et internationales qui ont vu le Maroc multiplier les provocations à l'égard de l'Algérie, quand ils ne les ont pas encouragées, avaient bougé avant, la situation aurait pu être différente. Maintenant, le vin est tiré", analyse un autre ancien diplomate algérien. En filigrane, cette hostilité dont le timing n'est pas choisi au hasard s'insère dans une logique de remodelage plus globale. C'est une guerre qui en révèle une autre. L'attachement de l'Algérie à sa doctrine classique en matière de politique étrangère n'est pas apprécié par nombre de pays qui travaillent depuis des années à redéfinir radicalement la carte géopolitique régionale. La reprise en main des monarchies du Golfe sur les organisations, telle la Ligue arabe, conséquence de l'affaiblissement considérable des Républiques, puis la normalisation assumée avec Israël constituent les actes d'une redistribution violente des rôles. Seule République qui tient encore dans un échiquier en effondrement, l'Algérie apparaît comme une exception qui dérange. L'installation d'Israël aux frontières soutenue par les Etats golfiotes a pour objectif stratégique d'en finir définitivement avec "le front de refus". C'est dans ce plan de pacification engagé méthodiquement depuis le "printemps arabe" que s'insère pleinement le harcèlement marocain. Faut-il souligner que le dernier épisode qui a fait dynamiter les relations diplomatiques intervient à un moment où l'Algérie est fortement sollicitée jusqu'à épuisement pour éteindre les feux qui ont pris dans la région, depuis une décennie maintenant. Elle évolue dans un environnement aussi instable qu'hostile. L'interminable crise libyenne à l'Est, l'enlisement sécuritaire du Sahel au Sud et la "guérilla" à laquelle elle doit faire face à l'Ouest. Prise en étau dans une stratégie d'encerclement étouffante qu'il convient de briser. L'une des meilleures armes dont il faudra faire usage est de ressouder les rangs autour d'une ambition collective fondée sur la citoyenneté libre et consciente débarrassée des réflexes passéistes.