La mise en examen de Lewis Libby, directeur de cabinet depuis le début du premier mandat de Bush en janvier 2001, et du vice-président Richard Cheney coïncide avec l'annonce du 2000e soldat américain tué en Irak. La grogne sourde à Washington où il n'y a pas que l'opposition à estimer que ces derniers évènements renforcent l'impression que le parti républicain au pouvoir est caractérisé par “la corruption, le copinage et l'abus de pouvoir”. Lewis Libby n'est pas n'importe qui. Homme de l'ombre, c'est un des théoriciens de la guerre en Irak. Sa mise en examen porte un coup sévère à l'image de commandant en chef sur laquelle Bush a misé pour décrocher sa réélection en novembre 2004. Elle remet en cause le fondement de sa principale œuvre politique depuis son arrivée à la Maison-Blanche en janvier 2001 : la guerre en Irak et son corollaire la guerre contre le terrorisme. Libby, qui a été inculpé pour faux témoignage, obstruction à la justice et parjure, est accusé d'avoir entravé une enquête judiciaire sur une fuite ayant, apparemment, visé à faire taire un critique de la guerre en Irak, l'ex-ambassadeur Joseph Wilson, qui avait laissé entendre que l'Administration Bush avait menti pour justifier le déclenchement de la guerre. Il avait mis en doute l'existence d'une transaction supposée d'uranium entre le Niger et l'Irak de Saddam, l'un des arguments avancés par Bush pour justifier l'invasion de l'Irak. La guerre en Irak et les justifications avancées par Washington à l'époque vont se retrouver donc au cœur du procès, qui doit, en principe, suivre l'inculpation du directeur de cabinet du vice-président Cheney. Son procès doit permettre de déterminer si c'est bien ce haut responsable de la Maison-Blanche qui a livré à une poignée de journalistes, en 2003, l'identité d'un agent secret de la CIA, Valerie Plame, dans l'espoir de faire pression sur son mari, l'ancien ambassadeur Joseph Wilson, un opposant déclaré à l'invasion de l'Irak. En janvier 2003, les prétendues tentatives de Saddam d'acheter de l'uranium en Afrique, contestées par Wilson, faisaient partie de l'argumentaire officiel de Bush pour justifier l'entrée en guerre, avec la présence d'un arsenal d'armes de destruction massive en Irak, qui se sont finalement avérées introuvables. Alors que l'opinion publique américaine est de plus en plus sceptique sur le bien fondé de la guerre en Irak, les spécialistes des questions américaines soulignent le cas totalement unique du procès à venir. Le vice-président Cheney, qui est, selon le procureur chargé de l'enquête, l'un des trois responsables gouvernementaux à avoir informé Libby de l'identité réelle de l'agent de la CIA Valerie Plame, sera probablement appelé à la barre en tant que témoin de son ex-collaborateur. La question sera alors de déterminer si, au-delà de la personne de Libby, c'est le vice-président lui-même et donc la Maison-Blanche directement qui porte la responsabilité d'avoir piloté une opération destinée à discréditer et éliminer un témoin embarrassant et crédible qui réfutait les arguments avancés pour justifier la guerre. Pourtant, un an avant l'invasion de l'Irak, la commission Joseph Wilson, ancien chargé d'affaires à Bagdad et éminent spécialiste des affaires africaines, devait mettre en doute l'existence de la transaction supposée entre le Niger et Saddam mais, en dépit de cette conclusion, Bush invoquera, fin janvier 2003, dans son discours sur l'état de l'Union, cette transaction justifiant, selon lui, une intervention militaire contre l'Irak. D. Bouatta