Le procureur de la République a requis 3 ans de prison ferme dans le procès de Fethi Ghares, coordinateur du MDS. Le verdict est attendu pour le 9 janvier. Tiré de sa cellule de la prison d'El-Harrach pour être jugé, hier, au tribunal de Baïnem (à Bab El-Oued), Fethi Ghares a fini par inverser les rôles, en profitant de cette "tribune" pour faire lui-même le procès d'un régime qu'il qualifiera d'"autoritaire", d'"injuste" et d'"antidémocratique". Avec une sérénité à toute épreuve, le sourire qui ne le quittera pas un seul instant, le coordinateur du Mouvement démocratique et social (MDS) s'est présenté, vers 10h40, devant le juge avec visiblement la ferme détermination de prouver qu'à travers son procès, c'est en réalité l'exercice politique en Algérie qui est pris pour cible et criminalisé. "Je suis un homme en colère monsieur le président de la cour", dit-il, dès l'ouverture de son procès qui, sans aucun doute, servira de "séquence de référence dans l'histoire des dérives autoritaires du régime algérien", comme le fera observer, en aparté, la patronne du PT, Louisa Hanoune, qui a assisté à ce procès. "Je suis en colère", martèle Fethi Ghares "parce que tout fonctionne dans ce pays à l'humeur (bennef'ha)", lâche-t-il, avant de dénoncer les "pratiques du régime" comme, par exemple, "lorsqu'il s'agit de fêter, dans les rues de la capitale, la victoire de l'équipe nationale en Coupe arabe, l'épidémie de coronavirus n'existe pas, mais quand c'est le procès de Fethi Ghares, le même régime convoque le même virus pour interdire aux nombreux citoyens, venus à Baïnem, d'assister à son procès". Haussant le ton, Fethi Ghares fait sursauter le juge qui l'invite à se calmer. Ce à quoi l'accusé répond catégorique et tranchant : "C'est tout ce qu'il me reste. Me mettre en colère. J'ai été mis en prison, injustement, pendant six mois. Suis-je un danger, moi ? Un président d'un parti politique agrée constitue-t-il un danger ?" s'interroge Fethi Ghares, accusé, entre autres, de d'outrage à corps constitué, diffusion de publications pouvant porter atteinte à l'intérêt national, diffusion d'informations pouvant porter atteinte à l'unité nationale. Des chefs d'accusation que rejette catégoriquement le militant politique qui en a visiblement gros sur le cœur. Il explique : "Je ne peux pas être un danger. Ni mon parti d'ailleurs. Je n'ai pas de compte en devises à l'étranger", et debout, à deux mètres de distance de son père tout fier et de son épouse Messaouda Chaballah, il ajoute : "D'ailleurs, je n'ai même pas de passeport." Dans la salle du tribunal de Baïnem, on notera également la présence des cadres militants du parti du MDS, de la patronne du Parti des travailleurs, Louisa Hanoune, du secrétaire général du PST, Mahmoud Rachedi, de l'ancien secrétaire général du FFS, Ali Laskri, du cadre du parti du RCD, Ouamar Saoudi, ou encore de plusieurs militants des droits de l'Homme. L'assistance, tout au long de ce procès, écoutera religieusement un Fethi Ghares que les six mois passés en prison ne semblent aucunement avoir altéré. Car face au juge, l'accusé déploiera toutes ses qualités de tribun rompu à l'art du discours, avec arguments à l'appui. Ainsi, lorsque le juge lui demande de s'expliquer sur ses écrits et communiqués "susceptibles d'inciter à la haine et au désordre", le coordinateur du MDS répond que sa fonction même de chef d'un parti politique commande la critique. "Je suis un homme politique. Mon rôle est de porter la critique sur la place publique. Ce que j'ai dit et écrit, je le pense encore. Je milite pour l'avènement d'un changement radical. Pour une rupture avec le régime autoritaire et corrompu. Je ne change rien à ce que j'ai dit", dit-t-il, en déplorant, par ailleurs, que "la justice a tort de s'interférer dans le débat politique car, poursuit-t-il, il s'agit bien de la criminalisation de l'exercice politique". Le juge l'interroge ensuite sur ses déclarations où il a qualifié le régime de "criminel". "À qui faisiez-vous allusion en déclarant cela", demande le président de la Cour. Droit dans ses bottes, le leader du MDS reconnaît d'abord avoir, en effet, dit cela. Mais encore, il n'y change rien. "Le régime est criminel. Je le répète encore : le régime est criminel. Criminel parce qu'il a détourné des milliards de dollars. Cela s'appelle un crime économique", insiste-t-il, avant de faire remarquer que : "Même Abdelmadjid Tebboune le reconnaît." Dans un jeu de questions-réponses, il faut dire que l'accusé s'en sort très bien, parvenant même, par moment, à déstabiliser le juge et, d'autres fois, à susciter le rire de l'assistance quand le procès tourne au tragi-comique, comme lorsque le président de la cour presse l'accusé de s'expliquer sur ses appels lancés aux Algériens pour sortir et investir la rue, lors de l'insurrection citoyenne du 22 Février 2019. Tranchant et ironique, en assumant, en effet, avoir, en tant qu'homme politique, appelé les Algériens à manifester, Fethi Ghares fait observer, ironique, qu'il s'agit bien du "Hirak béni et constitutionnalisé dans la dernière révision de la loi fondamentale". Une réponse qui provoquera alors l'hilarité dans la salle, mais qui ne semble pas du goût du juge. "Je vous parle avec sérieux. Soyez respectueux et répondez clairement et directement à la question", somme le juge, un tantinet agacé. L'accusé reprend la parole et dit avoir le plus grand respect pour la cour. "Oui, j'ai appelé les Algériens à sortir manifester pacifiquement. Tout homme politique a le droit d'appeler ces concitoyens à manifester. Dans d'autres pays, cela se fait à titre déclaratif seulement", compare-t-il. À midi passé, le juge aura déjà posé une dizaine de questions, toutes liées, directement ou indirectement, aux activités politiques de Fethi Ghares. Dans la salle, quelques voix font remarquer que c'est, in fine, l'exercice politique même qui est remis en cause. Mais ce qui fera encore grincer des dents, c'est lorsque le juge a sorti le dossier des échanges privés de Fethi Ghares. Des échanges, selon le juge, qui "incitent au désordre, à l'anarchie ou encore à la haine". Ce qui a fait sortir de leurs gonds les avocats de la défense, n'hésitant pas à charger le juge et le parquet. Et c'est l'avocate Zoubida Assoul qui s'y colle la première, en rappelant, avec insistance, que ce dossier ne peut même pas constituer une preuve, en plus du fait qu'il s'agit de la vie privée de l'accusé, un homme politique qui plus est. "C'est anticonstitutionnel. La loi est claire sur ce sujet. Les échanges privés de l'accusé ne peuvent, en aucun cas, constituer une preuve", rappelle-t-elle. Prenant le relais, Me Mustapha Bouchachi fait remarquer, à ce sujet, que la justice "aurait dû d'elle-même rejeter ce dossier relatif à a vie privée de l'accusé". Après deux heures de débat, le procureur de la République requiert une peine lourde contre l'homme politique : 3 ans de prison ferme. Aussitôt, les avocats entament leurs plaidoiries. La défense constituée, entre autres, des avocats Abdellah Haboul, Nabila Smaïl, Mokrane Aït Larbi, Saïd Zahi, Mustapha Bouchachi, Abdelghani Badi et Zoubida Assoul, se sont succédé pour "démolir" l'accusation. Et, sans doute, c'est le jeune avocat, Yacine Bouzid, qui résumera le mieux la teneur de ce procès bien particulier : "La justice algérienne, depuis l'indépendance, regorge de procès politiques. Elle regorge de procès menés contre les meilleurs enfants de la patrie. Et celui d'aujourd'hui n'est qu'un autre exemple dans cette triste série. Ce n'est pas Fethi Ghares qui est jugé aujourd'hui. C'est un jugement contre l'exercice libre de la politique, un procès contre la liberté d'expression, contre le pluralisme politique et contre le droit à l'opposition."