En réagissant aux "accusations de certains articles algériens" suscitées par son rapport sur l'économie de l'Algérie, la Banque mondiale a précisé qu'elle refuse de les traiter dans le fond : "Tout inacceptables qu'ils soient, il ne sera pas répondu à ces propos, tant nous considérons qu'ils ne sauraient porter argument ni ne constituent un élément de débat." Elle s'est contentée de rappeler qu'elle est "une institution internationale de développement composée de pays membres" et que "l'Algérie, membre apprécié du groupe de la Banque mondiale, est représentée au conseil les administrateurs de la banque". Elle ne pouvait d'ailleurs pas en faire plus puisque le Premier ministre algérien a lui-même trouvé que "certains médias ont exagéré dans l'analyse de la teneur du rapport de la Banque mondiale, en le présentant comme un document uniquement négatif". Tant de circonvolutions autour du rapport en question sont censées discréditer, à nos yeux, ses constats et recommandations pour l'intention malveillante qui le soutient. Or, que dit le rapport ? Ce que disent les experts nationaux algériens et que sait le quidam algérien. Il dit, après avoir noté "bonnes" les bonnes actions de gestion économique et sociale initiées par le gouvernement, que l'économie algérienne, n'ayant pas encore bénéficié de réformes qui pourraient la hisser à un niveau de performance productive en rapport avec les besoins de la société, présente toujours les caractéristiques et la précarité d'une économie de rente et que, si les choses restent en l'état, le pays continuera à dépendre financièrement et socialement du marché des hydrocarbures. Maintenant que le pétrole est à 80 dollars, on peut toujours faire à nouveau dans la dénégation de cette précarité structurelle et présenter la mise en garde comme un geste d'inimitié. S'il n'y a rien de nouveau dans l'irritabilité conservatrice du système, le tableau économique, non plus, n'a rien d'inédit. Mais, outre qu'il suscite le réflexe culturel de déni de réalité, il est présenté comme un acte d'hostilité dont on ne sait pas très bien si la Banque mondiale est auteur ou simple vecteur ! Qu'importe : l'enjeu est de nous amener à ne pas regarder vers la gestion interne de nos affaires et à nous braquer sur les hostilités externes. Ce souci de détourner notre attention vers la menace extérieure a débouché sur une espèce d'illusionnisme diplomatique qui tend maintenant à concerner aussi le domaine du multilatéral ! Le régime et ses suites conservatrices sont toujours accaparés par le souci de dissiper le mouvement populaire, qu'ils savent avoir étouffé mais pas éteint. Alors, en soutien de la répression judiciaire toujours en action, il est fait usage du matraquage discursif autour de menaces qui devraient définir la priorité entre changement et sécurité. Ces menaces peuvent être aussi bien extérieures qu'intérieures, comme le montre la décision prise hier par le Conseil de la nation de mettre en place une commission d'enquête sur "la pénurie de produits de large consommation". Celle-ci "fera la lumière sur les causes de cette crise, ses instigateurs et les parties qui l'alimentent" en vue de "contrer les manœuvres et les comportements malveillants répétés des spéculateurs qui participent de leur égoïsme et de leur avidité aux dépens des producteurs et des consommateurs", est-il précisé. Si la pénurie meurtrière d'oxygène médical de l'été passé n'a pas suscité la même attention parlementaire que le manque d'huile de table d'aujourd'hui, c'est parce que les deux crises n'offrent pas le même intérêt politicien. En matière de santé, l'évidence même de la responsabilité justifie le silence ; en matière alimentaire, la longue chaîne de responsabilités offre un large choix de présumés coupables. Au demeurant, le fait est qu'a priori, il y a un coupable présumé. Un coupable qui n'est pas la gestion politique de nos affaires. Qui n'est pas le conservatisme rentier sclérosant. En attendant la fin de l'enquête, des enquêtes, la victime – le citoyen – devra rester suspendue à leurs conclusions. En attendant, le changement, comme les réformes, doit attendre. À moins que, comme on nous le dit, ce changement ait déjà été accompli.