Adib Benazzi vient de publier aux éditions Dalimen son premier roman intitulé Marée basse. Le héros du premier cru de cet ingénieur installé à Londres s'appelle Walid, un jeune Algérien au passé sombre qui se retrouve malgré lui embarqué dans une histoire faite de meurtres d'enfants, de règlements de comptes et de crimes dont le point de départ remonte au 19e siècle, entre un proche de l'Emir Abdelkader, Mohamed El-Ouffia, et la tribu des Tidjani de Laghouat, soumis au colonisateur français. Rien ne laissait présager le cataclysme qui allait se produire dans la vie du jeune Walid, diplômé de la prestigieuse université de Yale, avocat sans scrupules, qui, pour sauver sa réputation et sa carrière, tuera de sang-froid sa petite amie Zeynep, enceinte, par peur des conséquences que cette grossesse aura sur sa future carrière. Dans sa vie aseptisée, calculée au millimètre près, faite de relations amicales ou sentimentales superficielles, où seul le profit et l'intérêt comptent, il croit avoir échappé au sort inéluctable qui l'attendait. Mais les remords, les nuits blanches et l'état de déprime dans lequel il sombre le mène à changer radicalement de vie. De retour en Algérie, alors qu'il est juriste dans une compagnie pétrolière à Tamanrasset, il est témoin d'un terrible assassinat d'enfant, non loin de sa base-vie. Au sommet d'une imposante dune, se dresse une pierre rectangulaire de couleur noire. C'est devant ce décor macabre que l'enfant est égorgé, en pleine nuit. Mettant cette vision sur le compte de l'insomnie et de son état mental, il enfouit le drame qui vient de se produire au plus profond de son être. Mais le passé, encore ce passé sournois, qui ne cesse de harceler le criminel qu'il est, pousse le jeune Walid à agir. Il y voit même un signe du destin afin de s'absoudre de l'assassinat de Zeynep. L'action du roman commence véritablement à ce tournant de l'avis du héros, ou plutôt de l'anti-héros qu'est Walid. Il se met à la quête de la vérité, qu'importe où cela le mènerait : Beyrouth, Damas et Alep en pleine guerre, Saint-Pétersbourg, Delhi, Singapour, Nouméa, Sydney... Au fil de ces péripéties, improbables par moments tant le personnage central devient en quelques jours un véritable "Indiana Jones", qui échappera à plusieurs tentatives d'assassinat, des coups montés, et même l'invasion de factions rebelles à Alep (Syrie) et une intervention du GIGN français à Paris, le personnage se transforme. D'Apollon, séducteur, carriériste et affairiste, Walid devient un être sensible à la détresse humaine, prêt à se mettre en danger pour les autres, et pour faire la lumière sur ces étranges assassinats qui remontent à la fin de 1830, et dont les victimes sont exclusivement des enfants. L'Histoire et la mémoire deviennent le cœur de ce roman. De l'invasion française au 19e siècle, l'avilissement de toute une population par la supposée "mission civilisatrice" de la France, le douloureux passé commun et les mouvements de résistance ayant éclaté partout dans le territoire, comme celui de l'Emir Abdelkader, sont revisités sous le prisme de la vérité et de l'identité. En effet, le personnage de Benazzi semble questionner son propre parcours et celui de toute une nation. Qui sommes-nous véritablement ? Pourquoi tant de haine régie encore ce monde, et pourquoi faut-il que l'homme soit sur le point de tout perdre, pour se remettre en question ? Il n'est pas étonnant, quand on s'appelle Adib, qui signifie "écrivain" en arabe, de créer, dès sa première publication romanesque, un ouvrage de cette facture, où se mêlent un projet littéraire ambitieux, une thématique peu explorée dans le champ littéraire actuel et qui est l'enquête policière, et un travail fourni sur les personnages, en premier lieu Walid, loin d'être creux. Pour un premier roman, et malgré quelques passages où l'auteur force le trait, est-il utile de saluer l'ambition littéraire et le minutieux travail de la langue que le jeune auteur relève.
Yasmine Azzouz Adib Benazzi, Marée basse, éditions Dalimen, 336 pages. Novembre 2021.