Historien et directeur de la division socio-anthropologie de l'histoire et de la mémoire (HistMém) au Centre national de recherche en anthropologie sociale et culturelle (Crasc) d'Oran, Amar Mohand-Amer revient, dans cet entretien, sur l'évolution du pays à l'ombre des nouvelles donnes induites par le Hirak dont on célèbre aujourd'hui le troisième anniversaire. Liberté : Trois ans après l'émergence du Hirak, quel constat faites-vous de la situation générale du pays ? Amar Mohand-Amer : Le pays est entré dans une situation difficile bien que le Hirak ait posé les jalons d'un renouveau politique historique. Depuis trois ans, face aux espérances de la jeunesse, l'Etat a opposé la répression, les privations et de scandaleuses atteintes aux acquis que le peuple algérien a arrachés durement et, parfois, dans le sang. Les institutions politiques sont dévitalisées malgré leur renouvellement, l'économie est gérée à l'emporte-pièce, la Constitution bafouée, etc. C'est triste à dire, mais c'est la réalité. Encore une fois, ceux qui nous gouvernent ont tourné le dos au peuple et à sa jeunesse. Qu'est-ce que le Hirak a pu apporter et a-t-il réussi à changer le visage de l'Algérie ? Le Hirak a montré que la jeunesse algérienne est porteuse d'un projet construit autour de valeurs démocratiques et progressistes. Le pacifisme, la fraternité, la solidarité, la mixité sociale et le débat contradictoire qui ont marqué ces belles années du Hirak en sont la preuve. Le Hirak a montré — et continue à le faire — que la société algérienne n'est ni passive ni fataliste mais dynamique et responsable. Le Hirak est le plus beau miroir de l'Algérie depuis l'indépendance et sa planche de salut. Certains évoquent son "échec". Peut-on parler d'échec ? Et si tel est le cas, quelles en sont les raisons, selon vous ? Le Hirak est un processus inscrit dans la durée. Il a déjà réussi à conscientiser des millions de nos concitoyens. Il continue à promouvoir et à consolider la culture de l'action pacifique, de la responsabilité en politique, de la solidarité, de l'entraide, mais surtout de l'unité nationale. Ce sont ces valeurs qui constituent le socle d'une Algérie où la jeunesse jouera donc son rôle naturel, celui d'une avant-garde nourrie des valeurs du Hirak de 2019. Ce n'est pas un discours lénifiant ou utopique. Le Hirak a semé l'espoir et la fraternité. Ce sont de redoutables catalyseurs pour notre affranchissement pacifique d'un système dépassé et revanchard. La stratégie adoptée par le pouvoir à l'égard du Hirak est-elle appropriée ? La stratégie du pouvoir est vouée à l'échec car elle va à l'encontre de l'histoire du pays. On ne construit pas un Etat en remplissant les prisons de la jeunesse de l'indépendance. Le Hirak a mis la responsabilité et la préservation de nos institutions au centre de ses priorités. Sa stratégie est imprégnée de la volonté de protéger le pays. Ses actions fondamentalement politiques ont toujours abouti : les Algériens ont largement délégitimé l'ensemble des élections depuis le 22 Février 2019. Le Hirak n'est pas dans la confrontation physique ou brutale avec l'Etat, il est dans la recherche des voies les plus raisonnables et pragmatiques pour remettre le flambeau à ses légitimes récipiendaires, les jeunes. Comment voyez-vous l'évolution de la situation ? Nos dirigeants devraient revenir à la raison. La répression n'est pas un projet politique. Redoubler de férocité envers sa jeunesse, c'est enterrer une énième fois celles et ceux qui se sont sacrifiés pour l'indépendance, la dignité et la liberté. Enfin, j'espère que l'élite médiatique assumera sa responsabilité. L'histoire jugera.