Mercredi soir, les cimaises de l'auditorium de la radio nationale ont vibré aux accents andalous et chaâbis entonnés en hommage au pianiste, musicien, auteur-compositeur et chef d'orchestre disparu récemment : Mustapha Skandrani. C'est sous la direction de Mokdad Zerrouk que les vingt musiciens de la radio nationale ont déployé une grandiose, majestueuse et élégante nouba ; ont défilé, Grenade, Séville et Cordoue, l'Alhambra et le Généraliffe, la cour des lions et les cascades d'eau, les oiseaux exotiques dans les volières et les paons dans les jardins ; et puis Zyriab, vêtu d'un long kaftan safran, ceint à la taille d'une “chemla” de soie pourpre, portant turban et aigrette avec diamant au centre et long “qalam” de roseau à la main, rédigeant, inspiré par le jet d'eau, sa fameuse noubète el ghrib… Vous venez d'entendre, noubète Soltane. La première prestation fut celle de M. Zerrouk, chef d'orchestre et interprète d'un mini-concert andalou. Billah ya kamil el mahassine, suivi de Nahoua Ghoziel et Ya hasrah ala dhouk leyam qui provoqua une nostalgie sans fin auprès de l'assistance qui se manifesta par un long murmure d'approbation. Ce soir-là, la salle est comble ; familles, personnalités, journalistes, mélomanes, musiciens (Sid Ahmed Serri) famille et amis du disparu venus l'honorer, malgré le froid et l'heure tardive. Youcef Toutah, élève de Skandrani et interprète, s'empara du micro pour un mini-concert chaâbi. Absent de la scène depuis longtemps, l'artiste ne s'est déplacé que pour rendre hommage à son maître. Kallih fel houa est la première chanson. Une rangée de mélomanes bat la mesure en dodelinant de la tête de droite à gauche, ou d'avant en arrière, Abdelhakim Meziane bat la mesure de sa main ; des jeunes filles laissent fuser de stridents youyous : “ghram el andalouss” les habite ; une dame à ma gauche s'est endormie, “el noum soltane”, paraît-il… Les téléphones portables filment et enregistrent. Abderrahmane El Koubi est le troisième interprète de la soirée ; de purs morceaux d'anthologie, modulés d'une belle voix caverneuse, basse, profonde, sortie du tréfonds de son âme et dont les inflexions et les modulations rappellent celles de feu El Anka. Excellentissime interprétation de l'orchestre qui passe avec la plus grande aisance de l'andalou au chaâbi. Dernier soliste, Abdelkader Chaou a prêté son immense talent et sa voix de velours à l'exécution de cet hommage. Avec la belle assurance qui le caractérise, Chaou a interprété la fameuse qacida Youm el djemaâ kherdjou ryam, aidé en cela par l'orchestre qui lui donne la réplique, à l'unisson, au moment voulu. Intenses instants d'harmonie ; maestria et brio du chant lors de la litanie des prénoms féminins énumérés, Safiya, Khedaoudj, Aouaouèche… mais, “que sont devenues ces belles d'antan ?”, n'est-ce pas ? Belle prestation, art et dextérité, de lassel à la derbouka, du tar qui chante aigu lorsqu'il doit marquer le tempo, et du doux ronron du r'bab de Kateb. Un khlass, vantant les effets bienfaisants du nectar de la vigne réchauffe la salle qui bat des mains et danse sur place : “saqani bel kass léouel” ; arrivé au “kass el âchar”, la salle est surchauffée, et “ya el'adra ouine moualik ana khtib”, déchaîne vivats, youyous et sifflets. Le public est en liesse et… ma voisine ouvre un œil ! Nabil Skandrani (le fils) reçoit l'hommage, sur scène, de l'assistance. Que d'émotions ! NORA SARI