N'étant frappée d'aucun rendez-vous politique d'importance, l'année 2006 réunit toutes les conditions pour l'approfondissement des réformes et l'ouverture des chantiers de la relance économique. Des engagements de Bouteflika pour son deuxième mandat, qui s'achève en 2009. À condition que n'interfère la question de la révision constitutionnelle, dans l'air depuis 1999 et devenue insistante en 2005. Le cru 2006 devrait être une assez bonne année. N'étant frappée d'aucun rendez-vous politique d'importance et le casse-tête de la Kabylie réglé avec son remarquable retour dans le jeu institutionnel, le gouvernement a toute latitude de se consacrer à l'approfondissement des réformes dont les dossiers sont non seulement ficelés, mais que tout le monde juge indispensables. Par ailleurs, Bouteflika a mis l'ordre jugé par lui nécessaire pour la réalisation de ses engagements électoraux. L'écueil des militaires, dont il se plaignait, n'en est plus un, dès lors que les généraux ont abandonné la sphère politique pour ne se consacrer qu'aux missions qui leur sont dévolues par la Constitution. En théorie, c'est la ligne droite pour l'accélération de la réfection de la maison Algérie. Car, même l'opposition n'a plus les moyens de s'opposer à quoi que ce soit. Aux yeux des puristes, c'est évidemment un handicap pour le processus démocratique, mais cette situation n'est pas qu'un simple effet du pouvoir. Loin s'en faut. L'opposition démocratique avoue porter en elle-même les germes de son incapacité et de sa division qui n'a pas fini d'être consommée. Les élections locales de Kabylie ont tout de même révélé chez certains de ses animateurs, et non des moindres, le souci de se reconstruire à la base, en optant pour un militantisme de proximité. Il s'agit pour eux, comme pour le reste de la classe politique, de se préparer au grand rendez-vous des législatives de 2007. À ce sujet, si l'hypothèse d'une révision de la Constitution venait à se vérifier, la prospective de 2006, “année sans turbulences”, pourrait être quelque peu contrariée. C'est une exigence du parti du FLN dont Bouteflika est président. Selon Abdelaziz Belkhadem, la loi fondamentale devrait asseoir un régime ouvertement présidentiel où le chef du gouvernement ne serait qu'un simple Premier ministre. D'autres voix, relayées par le président du FNA (front national algérien, dirigé par un fils de “la famille révolutionnaire”), estiment le moment venu d'instaurer un régime parlementaire, à l'image des standards internationaux. Deux visions diamétralement opposées qui rendent compte de débats qui sourdent dans le sérail politique. L'épisode de la maladie de Bouteflika a aussi posé cette question, en suscitant des interrogations sur la notion de vacation du pouvoir. Lorsqu'il abordait cette question de révision constitutionnelle, Bouteflika se demandait s'il ne fallait pas instaurer une vice-présidence. Mais, par la suite, le sujet a été mis au placard. Bouteflika devait engager son chantier de la réconciliation nationale, qui reste à traduire sur le terrain par des lois d'application à la charte de la paix adoptée par référendum en automne 2005. Dévolue au ministère de la justice, la tâche s'est révélée moins facile qu'elle n'en avait l'air. Mettre dans le même sac victimes du terrorisme et acteurs de la tragédie n'est pas évident. La justice, pour sa part, continue sa mue avec la coopération de juges étrangers. Ce qui était impensable il y a peu. Selon le timing de la chancellerie, 2006 devrait être l'année du basculement vers une justice plus moderne, plus humaine. Donc plus crédible. Les scandales, qui ont éclaboussé le système financier tout au long de l'année passée, ont échaudé les derniers esprits chagrins, partisans de l'Etat vache à lait. La découverte d'une délinquance de cols blancs a révélé l'urgence d'engager les réformes de deuxième génération dans un secteur qui constitue le nerf de la guerre contre le sous-développement et ses corollaires, la paupérisation et la corruption, qui, au-delà de sommes astronomiques parties en fumée, constituent de véritables motifs pour le discrédit des institutions et un terreau fertile pour les idées rétrogrades. Le pays s'est également rendu compte que traîner des canards boiteux mène tout droit au cul-de-sac. Recapitaliser sans cesse des entreprises publiques malades, c'est déverser de l'eau dans le tonneau des Danaïdes, sans que l'emploi ne soit garanti. Le chef du gouvernement a réuni fin décembre le Conseil des participations de l'Etat (CEP) pour accélérer le processus de privatisation, qui n'a pas avancé à un rythme satisfaisant. L'investissement privé est lui aussi sommé de jouer le jeu maintenant qu'en son sein le bon grain s'est extrait de l'ivraie. Là aussi, l'Etat a introduit une batterie de lois pour mettre de l'ordre dans un secteur qui doit créer de la valeur ajoutée et ne plus se satisfaire de rentes qui échappent au fisc. La richesse n'est plus un tabou, mais elle ne doit pas non plus devenir le facteur de frustrations à l'origine de cassures sociales insupportables et pas du tout propices à la stabilité dont le pays a besoin pour frayer son chemin dans la globalisation. Après l'accord d'association avec l'UE, entré en vigueur en 2005, l'OMC pointe du nez. D'autres casses vont intervenir, quoi qu'en disent les officiels. Heureusement que le pays est assis sur un confortable matelas financier, qui n'est pas près de se dégonfler avec un hiver rigoureux dont le mercure maintiendra le prix du baril à ses niveaux actuels, si ce n'est plus. Donc, il n'y a pas de souci à se faire pour ce qui est de la trésorerie. La question est de bien gérer ce tournant exceptionnel, car le pétrole n'est pas éternel. Apparemment, le gouvernement s'est décidé de prendre le taureau par les cornes. Ahmed Ouyahia jure avoir pris le parti du développement. Il fait montre d'initiatives prometteuses en matière de lutte contre la corruption qui s'est érigée en système. Bouteflika n'a-t-il pas fait de la bonne gouvernance un objectif ? Il doit même se soumettre à un examen, lors de 2006, devant ses pairs du Nepad. Une première dans un pays où la transparence n'a jamais été la tasse de thé des dirigeants, de quelque niveau que ce soit. D. Bouatta