Le 26 juillet 2005, j'ai écrit un article publié dans le journal Liberté intitulé “Les cinq règles indispensables pour accéder au football de haut niveau”. J'ai conditionné l'accès à ce football par la conjugaison d'au moins cinq facteurs : 1) promouvoir le football de masse ; 2) prendre en charge et former efficacement les jeunes ; 3) former des entraîneurs de haut niveau ; 4) mobiliser différentes ressources humaines (économistes, entraîneurs, chercheurs, juristes…, etc.) et, enfin, 5) favoriser la compétition et plus de compétitions. Dans ce nouvel article, je souhaite sensibiliser les instances responsables du football algérien (FAF et LNF) sur la nécessité de se pencher sur ce cinquième facteur, à savoir favoriser la compétition et plus de compétitions. En d'autres termes, je souhaite insister sur l'effet du nombre de matches de compétition par an sur l'amélioration du niveau du football algérien. Je pense que pour le championnat de première division, 20 équipes sont nécessaires, voire indispensables pour permettre à notre football de décoller et d'aller vers le haut niveau car actuellement, notre football ne respire plus. Avant de donner les raisons qui me poussent à défendre cette idée, je souhaite faire un petit constat sur l'organisation des championnats dans les quatre coins du monde. Pour cela, j'ai choisi un échantillon de nations dominantes sur la scène mondiale et un échantillon de nations émergentes au regard de leur classement Fifa de janvier 2006. Sur les 12 premières nations qui dominent le football mondial, je constate que la première nation du football, le Brésil, regroupe 22 clubs en première ligue, suivie par l'Argentine avec 21 clubs. La France, l'Angleterre, l'Espagne et l'Italie comptent 20 clubs. Les Pays-Bas, le Portugal, l'Allemagne, la Turquie et le Mexique regroupent 18 clubs. Enfin, seule la République tchèque, classée 2e, compte 16 clubs en première ligue. Concernant les pays émergents, comme le Japon, on observe une organisation du championnat avec 18 clubs. Enfin, les deux meilleures nations du football africain, le Nigeria et le Cameroun, comptent respectivement 20 et 18 clubs. La question qu'on peut poser est la suivante : quelles sont les raisons qui ont poussé les responsables fédéraux de ces nations à organiser un championnat avec un nombre important de clubs en première ligue (22, 21, 20 ou 18) ? Je pense globalement que trois grandes raisons ont incité les dirigeants à faire ces choix : deux raisons liées au développement humain et une raison liée à un aspect plus économique. I - Former le plus rapidement possible des joueurs de très haut niveau tous les grands spécialistes du football partagent l'idée que les joueurs de très haut niveau se forment et apprennent en participant à un maximum de matches de compétition durant l'année. Les spécialistes estiment qu'au minimum, 40 matches de compétition par an sont nécessaires pour les joueurs de très haut niveau. Ces compétitions sont, d'une part, un laboratoire réel pour les entraîneurs pour évaluer et corriger les habiletés techniques, cognitives et mentales de l'équipe en général et des joueurs en particulier. D'autre part, la compétition représente pour le joueur un moyen de s'exprimer, de s'auto-évaluer et, en même temps, de s'adapter aux contraintes liées à sa profession. Les vertus de cette première raison sont plus liées à la formation du joueur de très haut niveau. Les spécialistes de la performance et de l'apprentissage moteur sont unanimes sur les effets de l'apprentissage en contexte réel, c'est-à-dire la compétition et le jeu réel. II - Permettre à des jeunes joueurs d'émerger plus facilement le nombre important de matches joués par an oblige les clubs à faire tourner un maximum d'effectif. Les conséquences liées au nombre de matches sont très positives pour les jeunes joueurs. Dans un championnat long et riche, les jeunes joueurs auront leurs chances de s'exprimer et de s'imposer dans l'équipe. J'ai observé deux phénomènes chez les nations qui ont des championnats regroupant 12 à 16 équipes dans leur ligue : - le premier phénomène observé chez ces nations réside dans le fait que la plupart des entraîneurs ne font tourner que 50 à 60% de leur effectif durant l'année, ce qui correspond à faire participer 15 à 18 joueurs maximum sur les 30 joueurs possibles. Les 15 ou 12 autres joueurs passent une année blanche. Cette année blanche peut être néfaste pour la suite de la carrière d'un joueur et d'un jeune en particulier. Il existe des risques réels de briser des carrières prometteuses à des jeunes talents. La faute n'est pas toujours liée aux entraîneurs qui sont en général conscients du problème. Un championnat avec 16 équipes permet de fonctionner avec uniquement 15 à 18 joueurs durant l'année. L'obligation des résultats impose aux entraîneurs à prendre moins de risques et à utiliser des joueurs soi-disant plus expérimentés. Le fait d'avoir plus de matches de compétition durant l'année permettrait aux entraîneurs de faire tourner le maximum de leur équipe pour des raisons diverses (blessure, suspension, gestion d'effort…, etc.). Ce mode de gestion pourrait permettre à chaque joueur de participer à au moins 4 ou 5 matches par année. Ces quelques matches sont parfois suffisants pour permettre à un club de découvrir un jeune talent. Si chaque club peut faire émerger un jeune talent par saison, à ce rythme, je pense qu'en 4 ans, le championnat algérien trouvera son rythme de croisière. Les conséquences seront bénéfiques non seulement au niveau de la qualité du championnat mais également très importantes pour l'équipe nationale algérienne. Cette dernière peut avoir un effectif solide permettant de défendre le football algérien dans les grandes manifestations : Coupe d'Afrique et Coupe du monde. - Le second phénomène observé réside dans le fait que la plupart des clubs sont prisonniers dans des systèmes de jeu stéréotypés. La durée courte du championnat oblige une grande partie des entraîneurs à utiliser au maximum deux systèmes de jeu. Globalement, on observe qu'ils utilisent un système de jeu à domicile et un autre à l'extérieur. Ce manque de variation des systèmes de jeu est globalement lié à la présence quasi permanente de l'équipe type sur le terrain. Les entraîneurs n'osent pas tester d'autres schémas tactiques et d'autres animations de jeu de peur d'échouer. La diversité des styles de jeu pourrait être néfaste pour eux car le championnat est de courte durée et chaque point a son importance. Ce manque de variation d'animation de jeu prive les joueurs d'un apprentissage nécessaire et primordial pour s'adapter au football de haut niveau. Le footballeur moderne a besoin des connaissances et des moyens qui vont lui permettre de comprendre le jeu et de s'adapter aux contraintes liées à la maîtrise de son activité et de sa tâche. Le nombre important de matches oblige les entraîneurs à utiliser d'autres joueurs. Ces derniers imposent indirectement aux entraîneurs de tester d'autres dispositifs de jeu. Ces changements permettent aux joueurs de découvrir d'autres plans de jeu et d'autres sensations. Pour conclure, sur le plan du développement humain, les effets du nombre important de matches par saison contribuent, d'une part, au développement et à l'enrichissement des connaissances des joueurs ainsi qu'à la formation à la pratique du football de haut niveau. D'autre part, plus de compétitions permet et facilite l'émergence de nouveaux talents. III - La raison économique Pour être rentable économiquement, un club de haut niveau doit jouer souvent trois matches par semaine. Ce nombre important de matches permet aux clubs de faire des rentrées importantes d'argent leur permettant d'améliorer leur fonctionnement. En augmentant le nombre de matches, les recettes seront plus importantes, notamment grâce à l'argent des sponsors (plaques publicitaires dans les stades, port des sigles sur les maillots…, etc.) et aux ventes des billets. Par contre, un championnat avec peu de matches n'est pas rentable économiquement pour les clubs. Dans ce cas, les clubs jouent, la plupart du temps, deux matches par semaine, voire moins. L'absence de compétition intensive ne permet pas de couvrir les coûts des achats de joueurs. En d'autres termes, les sommes investies par les clubs ne sont pas rentabilisées à cause du faible nombre de compétitions. De plus, le temps passé par les joueurs à l'entraînement représente un coût non négligeable pour les clubs. Pour conclure, nous avons estimé que le facteur “la compétition et plus de compétitions” est très important à mettre en place pour faire décoller le football algérien. En lançant ce débat, mon objectif n'est pas de bousculer les nouveaux responsables des instances du football algérien (FAF et LNF) ni d'exciter les opportunistes. Les idées que je développe pour défendre un championnat à 20 clubs émanent de constats et d'une analyse énoncée précédemment. Il me semble important, voire nécessaire de réfléchir sérieusement à cette piste afin de permettre au football algérien de trouver sa place sur la scène internationale. Mes propositions vont plus loin, je pense qu'en plus du championnat à 20 clubs et de la Coupe d'Algérie, peut s'ajouter la Coupe de la ligue pour les clubs professionnels, abandonnée dans un passé très récent. Ces différentes compétitions vont permettre à chaque club de jouer au minimum 40 matches par saison. Les meilleurs clubs pourront atteindre environ une cinquantaine de compétitions par an. Enfin, nous souhaitons avertir les responsables des clubs (dirigeants et techniciens) que ce volume important de matches demande un autre type d'organisation et de gestion. Pour cela, il faut prendre en compte un ensemble de précautions, à savoir : - les instances fédérales doivent planifier les matches en prenant en compte les contraintes non seulement liées aux calendriers international et continental mais également cette planification doit permettre aux joueurs de bénéficier de moments de trêve pour régénérer leurs ressources. - Les dirigeants de club doivent enrichir les staffs techniques par des personnes qualifiées dans le domaine médical, nutritionnel et psychologique (préparation mentale). - Les techniciens doivent planifier et programmer leur saison en prenant en compte le risque de surcharge de travail. Généralement, on constate que les joueurs se blessent le plus souvent à l'entraînement. Ces problèmes sont liés soit à la surcharge de travail, soit à la gestion des ressources humaines. Avec un nombre de compétitions plus important, les organismes des joueurs seront fort sollicités non seulement par les matches et les entraînements mais également par le nombre de déplacements. Tous ces éléments répétés x fois dans l'année mettent les organismes à rude épreuve. C'est pour cette raison qu'il faut offrir aux joueurs les conditions optimales de récupération (kinésithérapie, nutritionniste, sophrologie...). La nutrition doit être adaptée aux conditions du sport de haut niveau. Cette hygiène diététique si importante dans le sport de haut niveau améliore la performance et permet de résister à la fatigue, ce qui implique moins de risque de blessure. - Les joueurs doivent avoir une bonne hygiène de vie (nutrition, repos et sommeil). Cette hygiène aidera le sportif à la préparation de l'effort, la production de l'effort et la récupération en vue d'un nouvel effort. Tous ces efforts ont pour objectif d'éliminer le plus vite possible la fatigue et de reconstituer les réserves permettant la reprise de l'entraînement dans les meilleurs délais et d'être le plus en forme possible le jour de la compétition. Enfin, les vertus d'un championnat avec un nombre important de matches vont être très bénéfiques pour le football algérien à condition que chaque acteur joue son rôle. B. Z. (*) Maître de conférences, expert en football de haut niveau, spécialiste en psychologie de la performance et de l'apprentissage moteur, faculté des sciences et des métiers du sport, CNRS, UMR, LAMIH université de Valenciennes