Il y a eu panique. Pendant des heures, Alger s'est laissé aller au doute, à la spéculation. Lorsque, peu après dix-neuf heures, la capitale a sombré dans le noir, les quartiers commençaient à bourdonner des murmures, mi-sérieux mi-plaisantins, de leurs habitants. L'obscurité a vite précipité ces derniers à l'extérieur des immeubles pour donner lieu à des attroupements. La coupure du courant n'est, évidemment, pas un fait rare. Aussi, cela n'a-t-il pas inquiété, au début, les Algérois. Mais le prolongement inhabituel de la coupure et les échos obtenus des autres régions ont subitement transformé le fait en événement. Oran, Annaba, Tizi Ouzou, Bechar, Chlef, Constantine : “Tout le pays est sans électricité.” On apprendra le lendemain, de la bouche du président-directeur général de la Sonelgaz, Abdelkrim Benghanem, que trente wilayas étaient touchées. “Tout le pays est sans électricité. La panne est nationale”. Il y a donc problème. Peut-être est-ce grave ? La panique passée, les spéculations prirent le relais. De fort belle manière. Saddam, Bouteflika, les généraux et les terroristes, principaux acteurs du moment, traversent, en quelques heures, les artères de la capitale. Les artisans de la spéculation construisent subtilement leurs belles visions. Saddam Hussein. Le président irakien, embusqué dans l'un des bunkers luxueux du lointain Bagdad, “vient se réfugier en Algérie. On en a parlé dans la presse ces derniers jours. Il paraît que nos autorités n'y ont vu aucun inconvénient. On a donc sciemment provoqué cette coupure d'électricité pour que personne ne se rende compte de son arrivée.” Abdelaziz Bouteflika. Le chef de l'Etat est une star dans son pays. Il ne laisse pas indifférent bien sûr. On sait qu'il était en Ethiopie, au moment de la coupure d'électricité. En revanche, peu de gens connaissent son âge. Cela n'a pas empêché les artisans de la spéculation de le caser dans leurs blagues. Mais oui, “on a coupé le courant pour lui. Aujourd'hui, c'est son anniversaire ; on allume donc des bougies en son honneur.” Les généraux. Ils ont un pont à Alger qui porte leur nom. Les Algérois n'ont pas attendu leur disparition pour leur rendre hommage. Et ce pont, il a servi lundi soir. “Le noir permet de sortir leurs containers du port en toute quiétude. Qui peut les voir ? Qui peut les déranger ?” Les terroristes enfin. Même s'ils ont rarement attendu de telles aubaines pour tuer et massacrer, on leur prête la prouesse de “saboter la centrale électrique pour préparer des coups retentissants.” Il y avait aussi cette version : “Si la panne est nationale c'est que le but de l'opération doit être important. Ils vont certainement chasser Bouteflika du pouvoir !” A Bab Ezzouar, la colère a été réelle. Une mini-centrale électrique a créé des vibrations telles que les riverains en étaient paniqués. Paniqués et secoués. Un retour des flammes, provoqué par la coupure de l'électricité et l'arrêt brutal des quatre turbines, ont occasionné des malaises chez certaines personnes, notamment des femmes et des enfants. La colère a gagné la rue et la police a dû s'interposer. Les riverains ont bloqué la route pour se plaindre publiquement des désagréments causés par cette centrale, en fonction depuis 1981. Il est vrai que le bruit émis est assourdissant. Hier en fin de journée, Orascom s'est enorgueilli de la “bonne tenue du réseau qui est resté opérationnel à 100% dans toutes les wilayas où il est présent.” Djezzy est effectivement resté fonctionnel alors que son concurrent a “baissé pavillon” au bout de trente minutes. L. B.