“C'est une provocation de la société algérienne et une atteinte à ses valeurs morales”, assure Boudjerra Soltani, le numéro un du MSP. Le parti islamiste est en verve, et s'il vocifère à longueur de colonne à l'Assemblée nationale et partout où il le peut, c'est que l'affaire doit être importante. Au regard de la mobilisation du MSP, on serait tenté de penser que l'objet du courroux est une caricature du Prophète Mohamed. Et bien non ! Il s'agit tout simplement de la troisième édition de la Star Academy arabe, retransmise cette année par l'ENTV. Le président du MSP en a obtenu le retrait du petit écran. Pourtant, le programme est populaire. En un mois, plus de 500 000 sms ont été envoyés d'Algérie et, sur 22 pays arabes, seul l'Arabie Saoudite a fait mieux. Vendredi 3 février, à l'heure du “prime”, les millions de téléspectateurs, qui avaient pris l'habitude depuis plus d'un mois de suivre les performances de la candidate algérienne Rym Ghozali, ont donc dû zapper sur la chaîne privée libanaise LBC, qui produit la version arabe de la Star Academy. Preuve que les Algériens sont accrocs, la candidate algérienne n'a pas été pénalisée par la défection de l'ENTV, puisqu'elle a largement devancé les deux autres candidats à l'élimination. Pour l'heure, Rym Ghozali triomphe. C'est sans doute ce qui a dû meurtrir le leader du MSP ; le représentant de l'Algérie est… une jeune fille. Cette affaire révèle une cassure au sein de la société algérienne. D'un côté, la majorité, surtout les jeunes, aspire, après dix années de terrorisme islamiste, à vivre normalement. De l'autre, les intégristes continuent de vouloir régenter la vie de leurs compatriotes. Pour le MSP, tout loisir non coranique doit être interdit. “Celui qui a acheté Star Academy sera jugé par le peuple algérien !”, pour pimenter le tout, Boudjerra Soltani se permet même de menacer indirectement le directeur de l'unique chaîne de télévision algérienne. Deux vendredis de suite, dans certaines mosquées de la capitale, des appels au meurtre de toute personne qui collabore à la diffusion du programme satanique se sont fait entendre. Pour Hamraoui Habib Chawki, le directeur de l'ENTV, le dilemme devient cornélien : peut-il mettre en péril la vie de plus de trois mille employés de la télévision publique en continuant à diffuser la Star Academy ? Fort de son statut de parti du gouvernement, le leader du MSP annonce que c'est sur ordre du président de la République lui-même que la Star Academy a été retirée des écrans. Le directeur de la télévision dément. À la Présidence, on ne commente pas. “Boudjerra Soltani a piégé tout le monde”, affirme un homme d'affaires très instruit des pratiques du sérail politique. “S'il y a un démenti officiel après qu'il se soit réclamé d'Abdelaziz Bouteflika pour avoir obtenu le retrait de la Star Academy, le MSP devra quitter la coalition gouvernementale et on aura une crise politique majeure.” Décryptage avec notre homme d'affaires : “La coalition gouvernementale est composée de trois partis politiques, le RND (moderniste), le FLN (nationaliste conservateur) et le MSP. Les gesticulations islamistes n'ont rien à voir avec la Star Academy, leurs sympathisants la regardent comme tout le monde, c'est le Premier ministre issu du RND, Ahmed Ouyahia, qui est visé. Le but de la manœuvre ? Contraindre le Chef du gouvernement à faire exploser la coalition pour pousser ensuite à la recomposition d'un gouvernement de tendance islamo-conservatrice autour du FLN et du MSP.” “Les leaders démocrates sont encore une fois absents”, s'insurge Ahmed, un étudiant en médecine, “s'ils se taisent sur une telle affaire, on se demande à quoi ils servent”. À la grande différence des années 90 où les tenants d'un Etat théocratique étaient dénoncés et combattus publiquement chaque fois qu'ils dépassaient les limites, cette fois-ci personne ne semble disposé à les dénoncer. A. T.