Au crépuscule de sa carrière, Jacques Chirac a encore fait la démonstration qu'il était capable de coups de maître. Alors qu'on le croyait enfermé dans un cruel dilemme avec l'affaire du CPE, il vient de se livrer à un exercice d'équilibre inattendu. Après la décision du Conseil constitutionnel de valider la loi sur l'égalité des chances qui comporte le volet CPE, Chirac pouvait difficilement éviter de la promulguer sans prendre le risque de porter atteinte au Parlement qui l'a votée. Ne pas promulguer, c'est achever son fidèle Premier ministre Dominique de Villepin qui se croit destiné à lui succéder à la tête de l'Etat et qui a menacé de démissionner. Entre ces deux options prévisibles, il a trouvé une troisième digne d'un équilibriste. La loi sera promulguée. Ce qui lui permettra de sauver son dauphin et les institutions. Elle ne sera cependant pas appliquée puisque Chirac a demandé au gouvernement de modifier la loi sur les deux points contestés. Ce qui n'équivaut à rien d'autre qu'à l'annulation de la loi Villepin. C'est la solution proposée par Chirac dans son adresse solennelle à la nation hier soir. Avant cela, il était soumis à une forte pression de la part des anti-CPE qui ont multiplié les mises en garde à son encontre. Bien décidés, les principaux syndicats de lycéens et d'étudiants ont appelé à des rassemblements “sur les principales places des grandes villes de France” une demi-heure avant l'intervention présidentielle. Les syndicats et l'opposition de gauche ont multiplié, de leur côté, les mises en garde sur un risque d'embrasement du conflit. Dix organisations de gauche, dont les partis socialiste et communiste, ont appelé “solennellement” M. Chirac à retirer le CPE avant l'ouverture de négociations. “Les risques d'un engrenage, d'une confrontation” sont “immenses” et M. Chirac doit les “éviter”, a déclaré le leader socialiste François Hollande. “Le rôle d'un chef de l'Etat, c'est de faire la paix”, a renchéri Ségolène Royal, favorite dans les sondages pour représenter la gauche à l'élection présidentielle de 2007. Les mises en garde sont également venues du parti au pouvoir, l'UMP, dirigé par le ministre de l'Intérieur Nicolas Sarkozy, le rival de Villepin, qui a ouvertement critiqué la gestion du dossier par Dominique de Villepin. Une des responsables du mouvement, Roselyne Bachelot, a ainsi estimé qu'une promulgation de la loi serait “prématurée” et a appelé au dialogue. La “sarkozie”, comme on appelle le ministre de l'Intérieur et sa cour, a préféré fuir Paris et se retrouver à Rome pour le congrès du Parti populaire européen. Après avoir réuni mardi entre un et trois millions de personnes dans les rues, les syndicats préparent une nouvelle démonstration de force avec une journée de grève et des manifestations le 4 avril. Ils sont confortés dans leur stratégie par un soutien massif de l'opinion. Premiers concernés par le CPE, un contrat réservé aux moins de 26 ans qui permet de licencier pendant deux ans sans justification, étudiants et lycéens occupent, quant à eux, le terrain. Tout en continuant à bloquer de nombreux lycées et des dizaines d'universités, ils multiplient les opérations ponctuelles, stoppant la circulation aux abords de certaines villes et occupant des gares. Y. KENZY