Le président français coupe la poire en deux: il promulgue le CPE et demande de retarder son application. Chirac qui est monté vendredi au créneau n'a réussi ni à désamorcer la crise ni à rasséréner une jeunesse française angoissée pour son devenir. D'aucuns ont estimé hier que le discours télévisé du président français a été un jugement de Salomon -ménageant la chèvre et le chou- qui prépare en fait une fin de mandat calamiteuse pour le président français. Jacques Chirac, très pédagogique dans son intervention télévisée de vendredi soir, s'est voulu champion de la légalité constitutionnelle, excipant du fait que la loi sur le contrat première embauche (CPE, ouvert aux jeunes de moins de 26 ans qui permet sous sa forme actuelle à un employeur de licencier pendant deux ans sans donner de justification) ayant été votée par le Parlement et qu'elle avait été validée par le Conseil constitutionnel, il se devait, en tant que président, de la promulguer. Explication qui n'a convaincu ni les jeunes et les étudiants, ni leurs parents et ni les syndicats, ces derniers appelant à de nouvelles manifestations pour le 4 avril prochain. De fait, M. Chirac aura surtout coupé, assez maladroitement, la poire en deux voulant, d'une part, sauver la face et la carrière politique de son Premier ministre Dominique de Villepin, tenter, d'autre part, de répondre un tant soit peu aux demandes des jeunes et des syndicats. Ce qui a eu pour résultat de donner le fait cocasse d'une loi promulguée mais inapplicable dans sa «formulation» actuelle, car le président Chirac, sans le dire clairement, -mais ses recommandations le laissent entendre- demande de surseoir à la mise en oeuvre du CPE, proposant que la période de deux ans soit ramenée à un an. Et, en cas de rupture du contrat, «le droit du jeune salarié à en connaître les raisons sera inscrit dans la nouvelle loi». Ce qui est mince et loin de satisfaire les exigences d'une jeunesse déboussolée. Or, les syndicats et les jeunes Français, qui se mobilisent depuis plusieurs semaines, exigent l'abrogation pure et simple du CPE et refusent tout amendement à une loi qu'ils estiment irréaliste et sans prise sur les problèmes du chômage et du travail. Aussi, Jacques Chirac semble, quelque part, être passé à côté de la plaque et raté le coche en faisant une lecture étroitement légaliste et convenue d'une loi controversée. Plus soucieux de l'avenir politique immédiat de son protégé, Dominique de Villepin -maître d'oeuvre du CPE et l'un des potentiels candidats de la droite à sa succession- qu'il a ménagé, que décidé à remettre en cause une loi contestée par une majorité de Français (ils étaient entre un et trois millions de personnes à avoir manifesté mardi dernier dans les grandes villes de France), Jacques Chirac qui a souligné dans son discours avoir «entendu les inquiétudes qui s'expriment chez de nombreux jeunes et chez leurs parents», et affirmé «et je veux y répondre» n'a en fait pas répondu aux attentes des jeunes qui voyaient en lui le dernier recours. M.Chirac a également innové en promulguant une loi et demandant, dans le même temps, à ce qu'elle soit révisée. Ce qui n'a pas manqué de surprendre une classe politique française pourtant habituée aux errements de ses dirigeants. Ironisant sur l'intervention du président Chirac, le leader du parti centriste UDF, François Bayrou, souligne: «C'est la première fois dans l'histoire, à ma connaissance, qu'on promulgue une loi en demandant qu'elle ne soit pas appliquée». Plus sobre, le Premier secrétaire du Parti socialiste, François Hollande, commente «on ne va pas vers l'apaisement». MM.Bayrou et Hollande résumaient à leur manière le sentiment mitigé du champ politique français au lendemain d'une déclaration télévisée qui n'a convaincu personne. Toutefois, le ministre de l'Intérieur, Nicolas Sarkozy, l'un des poids lourds de la droite française, et concurrent direct de M.de Villepin -dans la course à la présidentielle de 2007- a apporté son soutien au président Chirac. Ce qui ne semble pas de nature à modifier la situation sur le terrain où les syndicats ont appelé à la mobilisation et à de nouvelles manifestations pour ce mardi. En fait, la ligne dure choisie par le Premier ministre De Villepin, qui a mis mercredi en balance la poursuite de sa mission à la tête du gouvernement au cas où M.Chirac refuse de promulguer ce texte de loi, ne laissait pas beaucoup de marge de travail au président français qui, par ses dernières décisions, semble s'être préparé une fin de mandat éprouvante en donnant des raisons aux jeunes, notamment, de radicaliser leur mouvement de mobilisation contre le CPE.