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Soltani : “Bouteflika doit sanctionner les corrompus”
Dans un entretien exclusif à liberté
Publié dans Liberté le 20 - 04 - 2006

Dans cet entretien, le leader du MSP fait un large survol des questions qui sont aujourd'hui au cœur de l'actualité politique nationale. Dans ses réponses, tantôt alambiquées, tantôt directes, il évoque les derniers coups de gueule du président Bouteflika contre ses ministres, sa rencontre avec les anciens du FIS, la révision constitutionnelle…
Liberté : M. Soltani, comment percevez-vous les récentes remontrances du Président à l'endroit de certains ministres ?
Aboudjerra Soltani : Le président de la République découvre chaque jour que Dieu fait qu'il existe un énorme fossé entre ce que l'on lui raconte, ce qu'il lit et ce qu'il voit. Et ce n'est pas seulement aujourd'hui que le Président découvre ce fossé. Il le vérifie depuis 1999. Mais il n'en parle qu'aujourd'hui simplement parce que les priorités de l'Algérie ainsi que celles de l'agenda présidentiel ont changé. Avant, certains dossiers étaient relégués au second plan. Aujourd'hui, alors que l'Algérie a retrouvé la paix, le pays revoit ses priorités. En tant que président du MSP, il me semble que la priorité est de combattre la corruption au sens large du terme. La corruption est toute une chaîne enchevêtrée. Et dès qu'on touche un maillon, cela déteint sur l'ensemble de la chaîne. C'est pour cela que les critiques du Président adressées à certains ministres sont en fait des messages à d'autres gens. Le ministre d'un département représente une vitrine seulement. Derrière, il y a d'autres intervenants. Et le message du Président est destiné aux directeurs des entreprises, aux réalisateurs des travaux, aux lobbies financiers en Algérie et à tous ceux qui ont besoin d'un choc politique pour qu'ils comprennent que l'Algérie des magouilles n'est plus de mise, désormais.
Les propos du Président représentent-ils une simple mise en garde, histoire de dire aux lobbies “je vous ai à l'œil”, ou alors s'agit-il de menaces qui seront suivies de sanctions ?
La menace, qui n'est pas suivie d'action, n'a pas de sens. Et celui qui a une responsabilité dans un département reste le numéro 1. Dans le cas où il n'est pas en mesure d'assumer les responsabilités, il n'a qu'à partir.
Vous faites allusion aux ministres, bien sûr ?
Non, je parle des no1 dans n'importe quel département, à l'image des directeurs qui sont les no1 dans les administrations. Il est, en tout cas, venu le temps où les gens qui ne remplissent pas les critères de compétence et qui sont à la tête des départements partent ! Il faut imposer une obligation de résultats dans n'importe quelle fonction. Au MSP, nous avons élaboré récemment une initiative baptisée “Stop corruption”, car on s'est rendu compte que là où vous vous rendez en Algérie, il y a de la corruption, au sens large du terme. Et tout le monde le reconnaît, mais personne n'intervient. Pour nous donc, nous avons été contents de voir le Président pointer du doigt les corrompus, et on souhaite d'ailleurs que cela soit suivi de décisions.
Ne pensez-vous pas que les critiques du Président sont le présage d'un changement de gouvernement ?
Il est possible qu'il change de gouvernement.
Vous êtes ministre d'Etat. Et beaucoup à ce jour ne comprennent pas réellement la nature de votre poste. En quoi consiste au juste votre mission au sein du gouvernement Ouyahia ?
Je fais tout ce dont je crois à même de consolider les rouages de l'Etat, qu'il soit dans mes prérogatives ou non !
En quoi consiste votre rôle dans la réconciliation nationale ?
J'ai visité 38 wilayas, et j'ai été même à Bordj Badji-Mokhtar, à l'extrême sud du pays, pour dire qu'il y a une réconciliation nationale et qu'il faut l'accepter !
À l'étranger aussi ?
Oui, j'ai même été à l'étranger ! On a pris attache avec tous ceux qui étaient concernés par la réconciliation nationale.
Avez-vous contacté les dirigeants de l'ex-FIS ? Et lesquels ?
Oui ! On a contacté tout le monde ! Je vous donne l'exemple de Anouar Haddam. J'ai dit à tous ces gens qu'il y a une chance historique à ne pas rater pour l'Algérie qui est la réconciliation nationale ! D'oublier le passé et de tourner la page.
Que vous a répondu Haddam ?
Lui, il demande des garanties. Sera-t-il en paix en Algérie ? Pourra-t-il faire de la politique ?
Mais est-ce que ces textes offrent des garanties à Haddam pour qu'il fasse de la politique ?
Non. Moi, je renvoie les gens à la loi. C'est la loi qui définit les choses et qui est garante de la paix et de la stabilité du pays et non pas les personnes !
Quand avez-vous parlé à Haddam ?
C'était durant la campagne pour la réconciliation nationale, il y a de cela trois mois. Et à l'époque, je lui ai conseillé de ne pas rentrer au pays alors qu'il le voulait. Je lui ai demandé de temporiser tout en lui disant que par la suite, il pouvait rentrer facilement.
Et maintenant le moment est-il opportun pour le retour de Haddam en Algérie ?
S'il n'est pas sous le coup des trois interdits, il peut rentrer. Mais, je ne suis pas habilité à me prononcer sur cette question. C'est aux parties chargées d'appliquer les textes de la réconciliation d'apprécier les choses.
Les parties ?
La justice et les consulats.
Dans combien de pays étrangers vous avez été ?
J'ai été dans huit pays. Ce sont les pays où l'on pouvait expliquer aux gens nos convictions par rapport à la réconciliation nationale.
Parmi les gens que vous avez rencontrés, y a-t-il ceux qui ont exprimé leur souhait de rentrer au pays ?
Tous les Algériens qu'on a rencontrés à l'étranger veulent rentrer en Algérie s'ils trouvent des garanties. Ils disent qu'ils en ont marre de l'étranger.
De quelles garanties s'agit-il ?
Je leur ai dit d'ouvrir le débat autour des garanties avec les parties habilitées à les donner : le ministère de la Justice, la diplomatie et le ministère de l'Intérieur. Quant à moi, je n'ai pas de garanties à donner à qui que ce soit !
Hormis Haddam, quels sont les autres dirigeants de l'ex-FIS que vous avez rencontrés ?
Je ne vais pas vous citer de noms. Mais je peux vous dire que je les ai rencontrés tous sans exception. Et même ceux que je n'ai pas pu joindre, je les ai contactés via d'autres personnes.
Que leur avez-vous dit ?
Qu'ils peuvent rentrer au pays et que l'Algérie est prête à les accueillir ! Mais qu'ils doivent au préalable prendre attache avec les parties concernées.
Dans la perspective des élections de 2007, le MSP acceptera-t-il des éléments de l'ex-FIS dans ses listes électorales ?
Les militants de l'ex-FIS diffèrent de leurs dirigeants. Les militants avaient un agrément du ministère de l'Intérieur et militaient dans ce cadre. Et quant le parti a été dissous, ils sont rentrés chez eux. Ils ne sont comptables de rien. Et même la loi leur donne le droit, et tout le droit, de se porter candidat et devenir des élus. À contrario des symboles et des dirigeants. Mais celui à qui la loi et la Constitution permettent d'activer, a les droits et les devoirs des Algériens. Et ceux auxquels la loi interdit de faire de la politique, nous au MSP, nous les empêcherons de le faire. Car nous respectons la loi.
Accepterez-vous Madani Mezrag sur les listes du MSP ?
Moi, je n'aime pas citer de noms. J'aime travailler selon certains critères.
Madani Mezrag remplit-il les critères pour intégrer les listes électorales du MSP ?
Nous verrons d'ici 2007. C'est-à-dire après l'expiration des délais impartis aux décrets présidentiels sur la réconciliation nationale à la fin août 2006. C'est-à-dire à partir de septembre 2006, nous saurons ce qu'il faut faire.
C'est-à-dire ?
La réconciliation nationale a empêché trois types de personne à faire de la politique. Où est Mezrag dans tout ça ?
C'est la question que je vous pose...
On devrait d'abord voir de quoi la justice accuse Mezrag : d'être à l'origine d'explosions sur des places publiques ? D'avoir violé ou commis des crimes collectifs ? S'il s'est rendu coupable de ces crimes, la loi l'empêche de faire de la politique. S'il n'est pas coupable, la loi l'accepte.
Il faut donc que la justice se prononce sur le cas Mezrag pour qu'on sache s'il peut intégrer les listes du MSP ?
Ce n'est pas le cas de Mezrag seulement ! On verra ce que fera la justice entre mars 2006 et août 2006 pour tous les cas. Et on fera le bilan de l'application des textes de la charte : on verra si des gens sont rentrés et est-ce qu'ils ont fait des déclarations. Durant ces six mois, pour moi, il ne faut pas trop parler. Au MSP, on est en train de constituer des dossiers. Et après ces six mois, on verra plus clair. On déterminera l'identité des dirigeants de l'ex-FIS qui ne sont pas sous le coup des trois interdits, et qui peuvent donc exercer la politique.
Pensez-vous qu'il y aura des lois qui viendront compléter les textes de la Charte pour la paix ?
Quand on lit entre les lignes le document de la charte et qu'on parle des équilibres actuels, je dirai qu'après la réconciliation, il restera des reliquats. Il restera à savoir comment ces reliquats seront pris en charge. Est-ce par des décrets exécutifs ? Est-ce par une décision politique ? Est-ce avec un travail des ONG ? Est-ce par référendum ?
De quels reliquats s'agit-il ?
Je vous donne l'exemple des femmes violées, des enfants nés aux maquis et des gens dont l'argent a été dérobé ou ceux dont les biens ont été brûlés.
Seriez-vous candidat à la présidentielle de 2009 ?
C'est le majliss echoura (conseil consultatif) du MSP qui le décidera.
Pensez-vous que vous avez l'étoffe d'un candidat à la présidentielle ?
N'importe quel parti qui a son agrément, qui rentre dans les rouages de l'Etat et qui démontre ses capacités est apte à présenter un candidat à la présidentielle. Est-ce qu'il présentera son candidat en 2009, 2014, 2019 ? C'est le majliss echoura qui décidera.
Dans la perspective des élections législatives et locales de 2007, vous avez récemment revendiqué le départ de l'actuel Chef du gouvernement Ahmed Ouyahia. Pourquoi ?
Parce qu'en 1997, quand le Chef du gouvernement était monsieur X, son parti a eu 155 sièges à l'Assemblée nationale. Et quand en 2002, il y a eu monsieur Y à la tête du gouvernement, son parti a eu 198 sièges à l'APN. Cela démontre que quand le Chef du gouvernement est partisan, son parti est crédité de la majorité.
Votre explication ?
L'administration algérienne est pavlovienne. Elle comprend que quand le Chef du gouvernement est X, il faut alors lui donner. C'est pour cela que nous avons demandé à ce que le Chef du gouvernement soit un technocrate, neutre.
Ce Chef du gouvernement aura à continuer l'exécution du programme du Président et à garantir la transparence des élections.
Vos attaques ciblent-elles la personne d'Ahmed Ouyahia ou se contentent-elles de cibler l'administration ?
Nous ne sommes pas contre Monsieur Ouyahia, on veut protéger la démocratie de l'accusation de fraude.
Quelle est la position du MSP par rapport à une éventuelle révision de la Constitution ?
Nous sommes pour une révision de la Constitution qui permettra une ouverture de la scène politique, médiatique et syndicale et donnera plus de libertés. Il faut aussi déterminer la nature du régime constitutionnel en Algérie.
À quel type de régime constitutionnel êtes-vous favorable ?
Pour les peuples du tiers-monde, il vaut mieux, à mon avis, un régime présidentiel avec plus de libertés et de prérogatives aux ONG pour qu'elles jouent pleinement leur rôle.
Est-ce qu'il faut, du point de vue du MSP, un troisième mandat à Bouteflika ?
Ce n'est pas évident ! Cela dépend de la révision constitutionnelle et des possibilités qu'elle offre.
Si la Constitution est révisée et offre la possibilité d'un autre mandat à Bouteflika, le soutiendrez-vous ?
C'est au majliss echoura de s'exprimer sur cette question.
À quel moment voudriez-vous que cette révision constitutionnelle intervienne ?
Après les élections de 2007.
Pourquoi ?
Car la révision de la Constitution se fait pour l'élection présidentielle et le gouvernement.
Votre invitation à Mouloud Hamrouche, un opposant, à la rencontre du MSP de Zéralda a été incomprise. Comment l'expliquez-vous ?
En 2003, on a invité Benbitour. Aujourd'hui, on invite Hamrouche en sa qualité de Chef du gouvernement, opposant ou pas.
Et on ramènera probablement un autre Chef du gouvernement en 2007. Nous considérons Benbitour, Benflis et Hamrouche comme des Chefs de gouvernement, et personne ne peut leur enlever cette qualité.
Faites-vous partie de l'organisation des Frères musulmans ?
Non ! On a des relations doctrinales et on est sympathisant de la vision modérée et centriste de ce mouvement.
On prend de ses idées et de celles des autres, et on élabore une vision à l'algérienne en toutes indépendance et liberté !
N. M.


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