Accosté à Sétif, où il se trouve depuis plusieurs jours, pour les besoins du tournage du film “Mon colonel”, l'acteur français Bruno Solo, avec la simplicité qu'on lui connaît, a bien voulu se confier, à bâtons rompus, aux lecteurs de “Liberté”. Son éternel sourire surmonté d'une fine moustache, artistiquement tracée par les maquilleurs, pour crédibiliser son look années cinquante, l'une des vedettes de la célèbre série “Caméra Café”, sur M6, s'est prêté au jeu des questions-réponses. Liberté : Qu'est-ce que ça vous fait d'être à Sétif ? Bruno Solo : C'est une belle expérience, que celle d'être dans un pays, où mon père s'est engagé contre la présence française. Et le plus étonnant, c'est qu'il était affecté de 1959 à 1961 à l'hôpital de Sétif. Lorsqu'il a appris que je venais en Algérie, il s'est ouvert à moi pour la première fois, et m'a parlé de son engagement auprès du peuple algérien. Je ne connais pas vraiment ce pays. Mais, j'aimerais visiter d'autres villes. J'ai, seulement visité Béjaïa et j'espère pouvoir aller à Alger qui est l'incarnation de l'Algérie. Faire ce film me donne la sensation de participer à une aventure importante de l'histoire. C'est un acte courageux de vouloir parler des massacres perpétrés lors de la guerre de libération et c'est la première fois que je m'engage dans une production d'une telle envergure. Moi qui suis un rigolo de nature, on m'a collé le rôle d'un salaud, un officier de police tortionnaire. Les portes s'ouvrent, les consciences se réveillent et un gouvernement qui nous imposait les bienfaits de la colonisation. C'est à ce moment que les vies basculent. Ce film dit clairement les choses. À l'époque, on disait qu'on a construit des écoles en Algérie. Certes, mais sur 100 élèves, il n' y avait que 4 élèves algériens. Les autres étaient tous des fils de colons. L'école était pour les Français, uniquement pour eux. Voilà. Pensez-vous qu'il est temps d'exorciser tout ça ? Oui, mais ce sont surtout les Français qui ont besoin d'exorciser tout ça et pas les Algériens. J'ai eu l'occasion de visiter le musée du Moudjahid. C'est un livre ouvert sur l'histoire. En France, il n'y a pas de musée qui raconte l'histoire telle qu'elle a été vécue en Algérie. Les Algériens en parlent sereinement et sans rancune. Qu'en dites-vous ? Oui, on le voit d'ailleurs, qu'au bout du compte les Algériens ont réussi à arracher leur liberté et leur indépendance. C'est pareil au Mexique où les Français ont livré une autre sale guerre. Partout où on allait, on nous disait : “Vous êtes venus et on vous a donné une pâtée…” (Rires). On ne nous voit plus que comme un pays de guignols… C'est aux Français, aujourd'hui, d'avoir un esprit revanchard. C'est pourquoi, ce film est une bonne chose. Il est un rappel à la mémoire et les gens d'ici l'on très bien compris. D'ailleurs, il y a une anecdote à ce sujet. Lors du tournage d'une des scènes du film qui se déroulait près d'une école, on devait malmener des membres du FLN. Et là j'ai vu dans les yeux d'un homme âgé d'au moins 70 ans une émotion indescriptible. Ces scènes de violences lui ont rappelé le passé. Un passé douloureux. Lorsque le réalisateur Laurent Herbier a dit “coupez”, tous les Algériens ont spontanément applaudi… C'était émouvant et rempli de sens. Je pense qu'il y a, dans ce film, une sorte de communion entre les Algérien et les Français, que je trouve très belle. Une sensation qu'on retrouve, même, dans les rues de la vile. Costa Gavras est connu pour son engagement aux côtés des Algériens... Effectivement. Il est l'incarnation même du cinéaste engagé en France. C'est lui qui a tourné Z à Alger, pour lequel il a reçu un oscar, qu'il a offert à l'Algérie. Et puis, c'est un homme qu'on ne peut pas soupçonner d'ambiguïté sur la question. Il est clair. Le seul oscar qui a eu un oscar, c'est encore une fois grâce à l'Algérie. C'est une belle revanche. As-tu pris un café crème depuis que vous êtes là ? Le café est très bon. Il est vachement épais et très sucré. J'aime bien le goût, on appelle çà le café maure en Tunisie. Mais, le soir, j'ai un peu de mal à dormir surtout quand j'entends l'appel à la prière, à 5 h du matin… La mosquée est juste en face de ma chambre. Quels sont vos projets ? Caméra Café est un bon souvenir. Maintenant, je suis passé à autre chose. En ce moment, je me consacre à la production de films et d'émissions de télé et je fais une série sur le football. Je produis Kaamelot sur M6. Vous supportez toujours l'équipe du PSG ? Non. Moi, c'est plutôt Bordeaux et l'Olympique Lyonnais. J'ai les boules, car ils se sont faits éliminer bêtement par le Milan AC. Caméra Café à Sétif, ça vous tente ? Pourquoi pas. J'ai vécu en Belgique où j'ai réalisé un documentaire pour le cinéma belge. À chaque fois que je suis dans un pays différent, j'aime le sentir de l'intérieur. Il faudrait que je revienne, régulièrement, en Algérie. Je reviendrai, c'est sûr, à Béjaïa où j'ai senti une douceur de vivre propre à la Méditerranée. Les gens, dans la rue, parlent fort, ça joue aux cartes dans les cafés et les bars et on sent qu'à Béjaïa, les gens prennent le temps de vivre. Mais ce que j'aime par-dessus tout, c'est que les gens dégagent une belle pudeur, la pudeur de leur enthousiasme. Quand tu croises quelqu'un, il te témoigne de l'affection, de l'amitié, parfois de l'amour. Un amour à plusieurs niveaux, sans exubérance. À Sétif, les gens ont une pudeur retenue, amie, avec une magnifique gestuelle. C'est peut-être berbère, arabe ou méditerranéen, mais je dirai que c'est typiquement algérien, cette manière de te serrer la main et la mettre sur le cœur. Un geste qui a tout son sens qui me donne envie de revenir dans ce pays pour la chaleur et le respect qu'on m'a témoignés. Je reviendrai, aussi, pour honorer la mémoire de mon père et son engagement envers le peuple algérien. C'est un devoir de le transmettre aux générations futures. Un dernier mot ? Je suis ravi de faire ma première interview en Algérie à Liberté. Qui ne sera pas la dernière, puisque je reviendrai avec ma famille dans ce pays qui m'a ensorcelé. Qu'est-ce qui vous a le plus déplu durant votre séjour ? Les taxis… (Rires). Tout le monde prend son temps sauf eux. Ils sont toujours pressés et n'utilisent pas les freins mais les klaxons. C'est terrible… Ils ressemblent beaucoup aux taxis parisiens… (Rires). Propos recueillis par Farid Benabid