Pour les médecins, le recours à la césarienne n'est pas systématique mais dicté par une urgence ou des complications. Ce que patientes et citoyens réfutent en accusant les cliniques de vouloir s'enrichir sur le dos des parturientes. Sujet tabou, l'accouchement par césarienne n'est abordé que du bout des lèvres par les spécialistes, autant en milieu hospitalier qu'au niveau des cliniques privées ayant pignon sur rue à Annaba. L'accès aux statistiques, seul référent à même d'en évaluer le nombre même approximatif par rapport à celui global des naissances, est quasiment inaccessible pour toute personne étrangère. La frilosité des personnels médicaux et paramédicaux à ce propos ne fait que renforcer la suspicion de celles et ceux qui sont tentés de croire aux rumeurs faisant état du recours systématique et donc abusif à ce type d'intervention. La vox populi ne s'embarrasse pas de préjugés pour affirmer que depuis le début des années 2000, une femme sur quatre accouche normalement. Enfonçant davantage le couteau, d'aucuns vous préciseront que dans leur quartier ou au sein de leur propre cellule familiale, toutes les jeunes mamans qu'ils connaissent sont passées par le bloc opératoire pour mettre au monde leur bébé. Histoire d'étayer leurs dires, les simples citoyens expliquent, sans pouvoir toutefois le prouver, que les accouchements par césarienne permettent aux cliniques de gagner plus “facilement” de l'argent (entre 40 000 et 50 000 DA l'opération) et aux hôpitaux de “vider” plus rapidement les lits de leurs services de maternité respectifs. Pour en savoir plus, nous nous sommes rapprochés du docteur A., responsable d'une clinique privée, réputée à Annaba pour avoir notamment innové dans le domaine de la procréation médicalement assistée. Notre interlocuteur s'est d'emblée voulu rassurant en déclarant que la majeure partie des patientes, qui ont choisi son établissement pour y accoucher, l'ont fait par souci de confort, la clinique étant dotée de moyens matériels et humains parfaitement adaptés pour une délivrance normale ou par péridurale (sans douleurs). Selon le docteur A., il y a effectivement de plus en plus d'accouchements pour lesquels le recours à une césarienne s'avère inévitable, parce que le pronostic fœtal ou maternel indique une grossesse dangereuse. Il évoque le nombre élevé de cas, où il y a disproportion entre le bassin de la maman et la taille de l'enfant, des présentations de siège qui peuvent entraîner trop de complications pour un accouchement par voie basse ou encore dans l'occurrence d'un enfant prématuré. Autant de cas, toujours selon ce spécialiste, qui pourraient coûter la vie à la future maman ou à son bébé, sans parler des traumatismes postnataux encourus par les deux, si on tente un accouchement par les voies naturelles. Se voulant convaincant, l'obstétricien nous affirme que beaucoup de ses patientes sollicitent elles-mêmes un accouchement par césarienne. Le docteur A. se montrera néanmoins réservé pour nous dire à combien il estimerait le taux des naissances par césarienne. C'est ainsi, sans se montrer lui-même convaincu, qu'il se hasardera à avancer un taux de 12 à 14%. Au niveau du CHU Ibn-Rochd, qui renferme le service de maternité-obstétrique le plus sollicité de la région et qui reçoit quotidiennement les urgences des hôpitaux des wilayas de Guelma, de Souk-Ahras et d'El-Tarf, l'appréhension du problème est tout autre. Le personnel médical et paramédical est littéralement débordé par le nombre de femmes enceintes et il semble difficile, voire impossible de faire dans le détail, même si on nous assure que le service est parfaitement outillé et encadré pour pallier toutes les situations. Le service accueille, en effet, pas moins de 120 patientes à la fois, et il est arrivé que l'on y enregistre jusqu'à 58 accouchements par 24h. Là, pourtant, certains acceptent d'évoquer le problème des naissances par césarienne, sans préjugés et sans passion. Des médecins, qui ont requis l'anonymat, ne cachent pas leur inquiétude devant l'ampleur du phénomène. Ils estiment, quant à eux, qu'en moyenne, une femme sur trois présente à son arrivée une grossesse pathologique et que le nombre de cas pour lesquels une opération urgente est nécessaire est important. Généralement, il s'agit de femmes trop fatiguées ou souffrant d'hémorragie, si ce n'est d'affections cardio-vasculaires, incapables de poursuivre le travail d'accouchement à terme sans mettre en danger la vie de leur enfant. Ceci s'expliquerait par une mauvaise prise en charge des patientes au niveau des wilayas limitrophes ou des communes isolées, dont elles viennent, souvent dans l'urgence. Ces médecins admettent que le recours à la césarienne tend à l'abus même si l'on constate que le taux de mortalité périnatale a sensiblement diminué parallèlement. Avis que partage le patron du service, le docteur Djabri qui admet que le taux actuel, qui est de près de 25%, est pratiquement le double de celui enregistré il y a dix ans. Pour ce dernier, les progrès enregistrés par la médecine chirurgicale et la détection à temps des souffrances fœtales expliqueraient l'augmentation du nombre de césariennes, mais il ne considère pas, pour sa part, que le recours à ce type d'opération soit normal. Il préconise, quant à lui, qu'il y ait une continuité des soins par la mise en place de programmes de formation à l'intention des différents services obstétriques et une répartition harmonieuse des personnels qualifiés des établissements hospitaliers de la région. A. ALLIA