Washington accuse ouvertement Moscou d'avoir fourni des équipements militaires sophistiqués à l'Irak pour contrer l'armada US. Six jours à peine se sont-ils écoulés sur le début des frappes américano-britanniques contre l'Irak que, déjà, les premiers “dommages collatéraux” de la guerre commencent à se faire sentir. Le clash tant redouté a eu lieu : Washington accuse ouvertement Moscou d'avoir fourni des équipements militaires sophistiqués à l'Irak pour contrer l'armada US. S'ensuit une vive polémique qui ne fait que confirmer l'animosité patente qu'entretiennent les deux puissances mondiales depuis la décision de Bush de faire cavalier seul dans le bourbier du Golfe. La brouille est telle, qu'elle a nécessité une “explication” par téléphone entre les deux présidents, mais aussi entre les deux chefs de la diplomatie, Collin Powell et Igor Ivanov. Le porte-parole de la Maison-Blanche, Ari Fleisher, qui commentait hier l'entretien Bush-Poutine, tout en annonçant le démenti de la Russie, affirme formel : “Nous avons des preuves concrètes que des entreprises russes ont fourni de l'assistance et du matériel interdit au régime irakien”. Il cite notamment les jumelles pour vision nocturne, des brouilleurs de système de positionnement par satellites (GPS) des missiles antichars, qui auraient été, d'après lui, livrés par Moscou aux hommes de Saddam Hussein. Il en veut d'autant plus que ce type d'équipements était interdit de livraison à l'Irak par les Nations unies. Même si Vladimir Poutine a démenti catégoriquement tout comme son ministre des Affaires étrangères, que son pays ait fourni un quelconque soutien militaire à Saddam ni autres équipements de combat, les soupçons restent toujours de mise, côté américain. Preuve en est que le porte-parole de la Maison-Blanche a rejeté, hier, le démenti de Moscou en mettant en avant “ses preuves concrètes” non encore rendues publiques. Aussi, Collin Powell s'est-il inquiété hier devant les caméras de la Fox News de ce que ce genre d'équipements met “nos jeunes hommes et femmes en situation de danger, puisque cela donne à l'ennemi (l'Irak, ndlr) un avantage que nous aimerions qu'il n'ait pas”. Hier, le gouvernement russe a rejeté officiellement ces “allégations” américaines qu'il a qualifiées “d'invention” en réaffirmant dans le même temps que Moscou “respectait strictement” l'embargo imposé par l'ONU à Bagdad. La même réaction de rejet a été également exprimée par les entreprises russes mises en cause par Washington d'avoir livré des armes à l'armée irakienne. Cette mini-crise est née dimanche dernier lorsqu'un responsable américain avait soutenu que des techniciens russes seraient en Irak pour aider l'armée irakienne à mettre au point et utiliser les installations de brouillage et du guidage satellitaire des missiles et bombes de haute précision. L'étincelle a ainsi jailli. Et il n'en fallait pas plus pour déclencher les hostilités verbales, au moment où la tension était déjà dans l'air. Et les démentis des autorités de Russie ne semblent pas avoir dissipé les soupçons de la Maison-Blanche puisque la polémique a repris de plus belle, même après les mises au point diplomatiques. Sans préjuger de la véracité ou pas des accusations américaines, il y a lieu de noter une sérieuse brouille entre les deux géants du monde, depuis quelques semaines, qui dégage des effluves de la guerre froide. Moscou n'arrive pas à digérer le va-t-en-guerre américain sans la caution des Nations unies. Mais surtout — et c'est le plus important — sans qu'elle eut voix au chapitre. L'Administration Bush a, de son côté, tout fait pour mettre la Russie sur la touche dans ce conflit aux milles enjeux géostratégiques. Et ce n'est sans doute pas fortuit que l'Administration de Poutine a estimé, hier, que le Conseil de sécurité devrait s'exprimer sur la justification légale de cette guerre contre l'Irak, qu'elle estime dénuée de légitimité juridique internationale. L'opposition annoncée de la Russie à la modification du programme “pétrole contre nourriture” de l'ONU pour l'Irak, souhaité par Washington, participe aussi de cette volonté des Russes à mettre les bâtons dans les roues de la Maison- Blanche. H. M.