En dédaignant les bureaux de vote, les électeurs ont certainement voulu disqualifier le système et la classe politique qui l'anime. Malgré un tel handicap, ni le pouvoir ni l'opposition ne se sentent contraints à l'autocritique ou même à la modestie. Pauvrement élus, les députés rivalisent de déclarations sur le trop-plein de démocratie qui les submerge de groupuscules représentant de petits partis. Pour les forces au pouvoir, la diversité politique est un pis-aller. Il faut bien s'en accommoder, en attendant que les circonstances autorisent son abolition. D'ailleurs, quand les partis d'opposition étaient entrés en hibernation pour les besoins de la concorde civile, la presse écrite, dernier témoin de cette insupportable pluralité, avait longtemps essuyé le reproche d'une information et d'une opinion trop atomisée. L'opposition “démocratique” avait, parfois, relayé cette souveraine demande pour une information plus “homogène” et moins séditieuse. Résultat de la campagne : sans parvenir à l'assèchement total de l'expression, elle a assuré un relatif triomphe de la pensée unique dans l'édition indépendante. Parce que l'APN s'est timidement enrichie de quelques nouveaux prétendants, les habitués des arcanes du pouvoir s'en écœurent solidairement. Venant de l'alliance gouvernementale, la réaction est compréhensible. Les rentiers du FLN, qui ne font qu'accaparer un sigle patrimoine national pour un usage partisan, sont dans leur logique antidémocratique. Les élus du RND n'expriment que la conception autoritaire d'un pluralisme “par le haut”, conforme à la genèse de leur formation. Le MSP, dont l'existence ne constitue qu'un moment tactique de l'islamisme, joue à faire la démonstration de la virtualité démocratique d'un parti intégriste pour dissimuler la nature et la stratégie totalitaire de cette idéologie. Mais, le réflexe est moins compréhensible de la part de formations qui sont encore dans l'opposition. Avec force démonstrations de disponibilité, d'ailleurs. Elles sont tout de même nées d'une aspiration à la liberté d'opinion. Et savent que la minorité d'une opinion n'a jamais justifié son euthanasie. Ce rôle de bélier dévolu à l'opposition est illustré par le PT de Louisa Hanoune qui, depuis les élections législatives, mène campagne pour un report des élections locales. La décision vient d'être rendue publique par le gouvernement ; ce qui confirme un partage des rôles par lequel une sentence autoritaire peut prendre la forme d'une concession à une demande de l'opposition. Le RCD s'est montré soucieux de ne pas voir s'ajouter à l'épreuve de l'abstinence ramadanesque les tracas d'un choix électoral. Il a donc lui aussi appelé à l'ajournement du scrutin. Même s'il est évident que seule une raison politique peut justifier un accord général pour le report, on voit que la foi peut toujours être convoquée pour légitimer des consensus. Tout un Etat convient de légaliser la déviance qui fait que notre piété générale justifie bien un désœuvrement national qui va de fin juin à début novembre ! Des acteurs politiques viendront à l'occasion nous invectiver, devant caméra, au sujet de notre improductivité et discourir sur la valeur du travail en Islam. Même s'il y a deux tiers de mécontents dehors, tout baigne dans l'hémicycle. M. H. [email protected]