Le département de Chakib Khelil a décidé d'adopter une nouvelle politique consistant à revoir progressivement à la hausse le prix du gasoil et diminuer celui de l'essence et du GPL. Une politique qui vise, selon le ministre de l'Energie, à la réduction de la consommation du gasoil et une augmentation de la consommation de l'essence et du GPL. Les arguments “massue” et plus particulièrement celui ayant trait au prix, ne manquent assurément pas et restent suffisamment convaincants pour amener les automobilistes à renoncer aux voitures roulant à base de ce carburant. Et on peut souscrire aisément au fait que le prix du gasoil est “bas” puisqu'il représente à peine le tiers, environ des prix pratiqués pour ce carburant chez nos voisins marocains et tunisiens (35 da/l). Son prix actuel à 13,70 dinars le litre — pratiquement la moitié du prix de l'essence — stimule donc ce qu'on peut qualifier une “surconsommation”. Ce qui, somme toute, jusqu'à une date récente ne constituait aucune source d'inquiétude d'autant mieux que la politique suivie par les pouvoirs publics était essentiellement une politique d'augmentation de l'offre. Sauf que certaines données sont en train de dicter au département de Chakib Khelil de changer le fusil d'épaule d'autant qu'une telle politique vient d'atteindre ses limites. La demande est passée de 3,6 millions de tonnes (MT) en 2000 à 6,1 MT en 2006, soit une hausse de plus de 70%. La demande est de plus en plus importante que les autorités ont dû importer durant cette année (2007) pas moins de 100 000 tonnes, pour un montant de 52 millions de dollars, affirmait le ministre de l'Energie. Les raffineries dont dispose actuellement notre pays n'arrivent plus à combler le “déficit”, qui va s'accentuer durant les prochaines années, devait-il ajouter. En un mot comme en mille. L'Algérie n'arrive plus à satisfaire la demande du marché intérieur en gasoil et “il n'est pas rationnel de subventionner l'importation du gasoil s'il doit coûter 35 dinars pour être revendu à 13,75 dinars localement”. Voilà qui est dit. Il faut savoir que le secteur des transports à lui seul consomme 49% du gasoil. Et la production ne permettra pas de répondre de “façon durable” à la croissance de la demande de ce carburant. “Tout au plus, le déficit sera reporté d'une année”, affirme le ministre. Même avec la construction d'une nouvelle raffinerie à Tiaret d'une capacité de 15 MT. D'après le ministre, la solution réside donc dans la gestion de la demande. Cette gestion va s'articuler sur la promotion des transports en commun ainsi que celle du transport par rail, mais le plus urgent a trait à la question de la politique des prix qui peut apporter un début de réponse. Oui, mais quelle explication donner à cette hausse de 70% qui a fait que la demande en gasoil est passée de 3,6 millions de tonnes (MT) en 2000 à 6,1 MT en 2006 ? En tout cas, selon Chakib khelil, cette “évolution de la demande n'a pas résulté de la croissance de l'activité économique et des revenus, mais des prix bas de ce carburant accentués par l'élargissement du parc de voitures diesel”. Est-ce pour autant qu'il faut réguler l'offre et la demande de carburants par le prix et notamment en baissant celui de l'essence et en augmentant celui du gasoil ? Même si cette politique des prix, constitue une alternative sérieuse qui mérite d'être prise en ligne de compte, la logique qui doit présider à sa mise en œuvre résiste difficilement à un examen attentif de l'incidence réelle de la hausse du prix du gasoil sur sa consommation qui ne serait pas très significative si l'on prend en compte la réalité du parc roulant national. Un parc auto en progression continuelle L'Algérie possède le plus grand parc automobile du Maghreb, avec plus de 3 millions de véhicules. Il est en progression continuelle. En 2005, il a connu une hausse de 20 000 unités supplémentaires par rapport à l'an 2004 pour atteindre quelque 3,2 millions en 2006, soit une augmentation de 10%. Dans le détail, ce parc fait valoir selon les statistiques, le nombre de près de 1 900 000 véhicules de tourisme ; 634 000 véhicules de type commercial environ ; près de 320 000 camions ; alors que le nombre d' autocars et autobus tourne autour de 52 000 et les remorques autour des 100 000. Quant aux tracteurs routiers, ils avoisinent 50 000 et les tracteurs agricoles 120 000. Selon ces mêmes statistiques, plus de 40% des véhicules utilitaires roulent au diesel, sachant que près de 98% des camions, autobus, autocars, tracteurs routiers et tracteurs agricoles utilisent le gasoil, alors que bien plus des deux tiers des véhicules de tourisme utilisent l'essence. Ceci dit, en admettant que la hausse des prix du gasoil va orienter, toutes voiles dehors, les citoyens vers les véhicules à essence, quelle économie l'Etat va faire à travers la réduction de la consommation du gasoil ? La question mérite d'être posée d'autant mieux qu'elle en appelle d'autres. Comme par exemple la question de savoir quelle est la part des véhicules lourds dans le parc roulant du pays, ou encore quelle est la consommation de diesel de ces mêmes véhicules lourds par rapport à celle des véhicules légers. Sachant, par ailleurs, que l'augmentation du prix de gasoil ne réduira en rien le nombre de la mise en circulation de nouveaux véhicules lourds, pour la simple et unique raison qu'ils utilisent presque exclusivement ce type de carburant. Les grands chantiers de la relance Et les spécialistes vous diront que la consommation du gasoil par les véhicules légers reste pratiquement dérisoire par rapport aux besoins de ce carburant exprimé par les véhicules lourds dans les différentes catégories. Ainsi on saura qu'un véhicule de tourisme consomme en moyenne 5 à 6 litres de gasoil aux cent kilomètres. Alors qu'un véhicule lourd consomme entre 30 et 40 litres de gasoil aux cent kilomètres. Autrement dit, la consommation d'un poids lourd représente 7 fois environ la consommation d'un véhicule de tourisme. Donc la consommation supposée de diesel de près du tiers des 1 900 000 véhicules de tourisme en circulation reste presque insignifiante par rapport à la consommation globale de ce carburant. Est-ce que la reconversion de ce pourcentage de véhicule de tourisme à l'essence va réellement réduire le volume d'importation du diesel évaluée à 100 000 tonnes/an pour un coût de 52 millions de dollars ? La question reste posée quand. par ailleurs, le ministère de l'Energie fait l'impasse sur les grands chantiers qui ont été ouverts depuis l'année 2000 en Algérie. En effet, ce que ne dit pas Chakib khelil quand il explique l'évolution de la demande en gasoil par des prix bas accentués par l'élargissement du parc des voitures légères, c'est la grande mobilisation du parc roulant lourd par l'engagement des travaux des grands projets, comme ceux de l'autoroute Est-Ouest, la modernisation des chemins de fer, de construction de barrages ou encore le million de logements décidés par le président Abdelaziz Bouteflika. Ceci dit, interrogeons-nous un instant sur les répercussions qu'aurait l'augmentation des prix du gasoil par exemple sur le secteur des transports en commun et marchandise, sur le secteur agricole et son machinisme… On a appris à connaître le réflexe des transporteurs dont le souci reste invariablement la préservation de la même marge bénéficiaire quitte à répercuter l'augmentation du prix du diesel sur les prix des prestations qu'ils fournissent aux citoyens. Surtout si l'on sait que ces mêmes transporteurs ne peuvent prétendre faire partie des heureux bénéficiaires de la baisse de l'essence obligés donc de composer avec la nouvelle politique du ministère de l'Energie. Mais nous ne en sommes pas encore là. Comme le dit si bien Chakib khelil : “Il faut prévoir les problèmes et appliquer graduellement les changements.” Pour l'instant, le ministre mettra la balle dans le camp de l'APN, le ministère du Commerce, et celui des Finances pour la mise en application de ses propositions. “Nous avons seulement formulé des propositions”, devait dire le ministre. Le débat est ouvert. Zahir Benmostefa