Notre pays se trouve aujourd'hui au carrefour de tous les types de corruption : politique, administrative, économique, qu'elle soit petite ou grande. Il est aujourd'hui communément admis que le pouvoir donne accès à l'argent, enrichit celui qui le détient. Surtout quand ce pouvoir s'émancipe de la rectitude morale pour emprunter des sentiers informels balisés par un laisser-faire qui prend les allures de l'impunité. Les consciences s'en trouvent alors anesthésiées pour s'accommoder des nouveaux repères qui s'invitent aujourd'hui dans la société algérienne comme des hôtes de marque, au mépris de la loi et au grand dam des valeurs authentiques. Et c'est donc presque tout naturellement qu'on mesure l'importance d'une responsabilité au sein des institutions de l'Etat, au volume des richesses accumulées. Une triste équation qui traduit plutôt la réussite sociale dans une société qui ne se formalise plus devant l'accumulation illicite de la richesse par effet de contagion. Convenons d'une chose. Si l'on vient à considérer que le pouvoir donne accès à l'argent. Ce n'est assurément pas n'importe quel pouvoir, fut-il de décision qui permet l'enrichissement. Preuve en est, certains postes de responsabilité au sein des institutions de l'Etat sont plus convoités que d'autres et ce n'est sûrement pas la valeur hiérarchique qui en définit l'importance. Personne n'ignore aujourd'hui que dans certaines institutions de l'Etat, les postes qui ont accès directement à la sphère des “affaires” sont les plus courus. Des postes très convoités Le décret présidentiel promulgué dans le Journal officiel, le 18 avril 2007, nous en donne une idée assez précise. Ainsi, le texte en question cible des postes stratégiques de plusieurs institutions et ministères. En premier lieu, ceux des agents et officiers de la police, des douanes ainsi que des impôts. Le décret citera à ce propos les commissaires de police, les commissaires principaux et les divisionnaires de police alors que pour le secteur des douanes, sont concernés les agents de contrôle, les officiers de brigades, les inspecteurs généraux, les divisionnaires et les contrôleurs généraux. Egalement, les contrôleurs, inspecteurs principaux et centraux des impôts. De même que les agents publics des domaines et les inspecteurs de l'IGF (Inspection générale des finances). L'autre catégorie ciblée par ces mesures n'est autre que les ingénieurs de mines et autres examinateurs des permis de conduire. Des postes dans certains ministères ne sont pas exempts, et le profil qu'ils présentent reste significatif de la pléthore des candidatures, alors qu'ils demeurent à un niveau hiérarchique qui n'est pas, au niveau de l'importance, spécialement très gratifiant. À l'image des agents de contrôle, des inspecteurs, inspecteurs principaux et inspecteurs de service du ministère du Commerce ou encore les greffiers qui relèvent du département de la Justice. Ou encore, les inspecteurs du secrétariat général du gouvernement, des ministères de la Jeunesse et des Sports, des NTIC, du Tourisme, de l'Agriculture et du Travail. Le décret présidentiel impose à tous les détenteurs de ces postes “de rendre publics leurs biens et leur patrimoine deux mois avant qu'ils n'entament leurs nouvelles responsabilités, mais aussi à l'issue de leur mission. Certains d'entre eux qui occupent des postes beaucoup plus “sensibles” sont contraints pour leur part de déclarer leurs biens à la commission de lutte contre la corruption. Manifestement ce décret à pour objectif essentiel de juguler la corruption et d'assainir un service public gangrené. Il sera peut-être inutile de dire que ces postes et beaucoup d'autres qui n'ont pas été cités dans le décret présidentiel ont cette singulière réputation de constituer une voie royale vers l'acquisition d'un patrimoine matériel, financier et immobilier qui a cette vertu de mettre les vieux jours à l'abri du besoin. Le décret en question spécifie bien que les contrevenants qui ne respectent pas cette disposition de déclaration du patrimoine sont passibles, selon l'article 36 de la loi de lutte contre la corruption, à des peines de prison allant de 6 mois à 5 ans de prison ferme et à des amendes de 50 000 à 500 000 DA. Nombreux sont ceux qui estiment que le jeu en vaut la chandelle. D'autant plus que nos lois continuent de présenter de sérieuses lacunes qui constituent autant de brèches pour les gens malintentionnés qui arrivent ainsi à se tirer d'affaire sans trop de casse. Mais force est de constater que ces postes aussi lucratifs qu'ils pourraient l'être ne constituent en fin de compte que le sommet de l'iceberg. Car qui dit corrompu suppose un corrupteur. À cet égard la presse nationale a pris coutume de parler de maffia du foncier, de maffia de l'immobilier, de maffia du médicament, de maffia du sable..., de maffia de ceci de maffia de cela, tant l'ampleur des dégâts occasionnés, avec les complicités au sein des rouages de l'Etat, à l'économie nationale dépassent l'entendement. Corruption à toutes les échelles Et ce n'est donc pas sans raison que nombre d'observateurs algériens regardent avec une certaine “bienveillance” l'indice de perception de la corruption (IPC) établi chaque année par Transparency International (TI). Malgré la “sévérité” du constat à l'égard de notre pays, TI reste tout de même bien en dessous de la vérité. Car notre pays se trouve aujourd'hui au carrefour de la “corruption politique”, la “corruption administrative”, la “petite corruption” et la “grande corruption”. Particulièrement quand on réalise que même les institutions publiques réglementairement habilitées à prévenir ou à déceler des faits de corruption, tels la direction des impôts, les services des douanes, ceux de la concurrence et de la répression des fraudes, l'Inspection générale des finances et la Cour des comptes sont elles aussi gagnées par ce phénomène. Un phénomène encouragé par une opacité totale dans la gestion de la vie publique, une libéralisation sauvage de l'économie ayant fait la part belle au secteur informel qui compte, de l'aveu du ministère du Commerce, un millier de marchés dont le plus modeste peut rassembler plusieurs centaines de marchands et brasse des dizaines de milliards sans facturation. Une libéralisation sauvage qui a surtout permis, grâce à la floraison de marchés informels comme celui d'El-Eulma, de Tadjenanet, de Aïn Fakroun ou El-Hamiz, de remplacer le juteux monopole d'Etat par celui qu'exercent les nouveaux parrains qui se sont partagé le marché de l'importation — près de 10 milliards de dollars chaque année. Si les journaux n'hésitent plus à parler, à la moindre affaire mise au jour de “maffia”, c'est assurément pour mieux faire toucher du doigt le poids de ces nouveaux parrains qui jouissent de sérieuses protections plutôt intéressées à tous les niveaux des institutions de l'Etat. Longtemps restée en marge du droit international en matière commerciale et économique, l'Algérie a commencé à se mettre en règle à la faveur d'un processus d'ouverture politique en ratifiant un certain nombre de conventions internationales dont celle exigeant la mise en œuvre des dispositifs nécessaires à la lutte contre la corruption. Mais tant qu'on s'extasie encore devant une villa de trois milliards sans s'étonner que son propriétaire est un agent de l'Etat, autrement dit un fonctionnaire, l'on reste quand même sceptique. Une caution sociale avérée Qu'on ne se voile pas la face, une nouvelle mentalité est née, celle qui cautionne, même si elle ne l'approuve pas, l'enrichissement illicite en trouvant tout à fait normal qu'avec un salaire qui excède à tout casser 5 ou 6 millions, on peut se payer des voyages à l'étranger en famille, qu'on roule en 4x4 ou qu'on se paie une villa construite de surcroît avec des matériaux importés. “Nous détenons des dossiers lourds impliquant des personnalités dans des affaires de corruption que nous sortirons au moment opportun”, affirmait Boudjerra Soltani. On disait volontiers que le ministre d'Etat avait jeté un pavé dans la mare. Personne ne viendrait à douter que Boudjerra détient véritablement des dossiers, car en Algérie tout le monde détient des dossiers sur tout le monde. Reste à savoir si le leader du MSP est capable d'aller au bout de cette logique. Zahir Benmostepha