On savait que des Algériens étaient allés combattre en Irak ; on savait que certains d'entre eux étaient morts, parfois cueillis avant même d'arriver sur un front. Voir Bagdad et mourir ? Même pas ! On savait tout cela, mais on ne savait pas que, parmi eux, quelques-uns furent capturés par les Irakiens puis remis, voire vendus aux Américains, si l'en en croit les propos d'un volontaire syrien rapportés par l'envoyé spécial d'El Watan. Mais que sont allés faire ces bougres si loin de leurs bases dans un pays qu'ils ne connaissent peut-être que par le discours officiel qui leur a fait avaler que les Irakiens étaient des Arabes comme eux et donc leurs frères ? Comme beaucoup de mes compatriotes, ils ignoraient peut-être que vue de là-bas, l'Algérie n'est arabe que pour les politiques. L'Irakien moyen accueille la prétention arabiste d'un Algérien avec le sourire et pour ce qu'elle est : une imposture identitaire. Il ne faut pas s'étonner que des Algériens aient été revendus sans état d'âme par leurs hôtes. On pourra toujours se consoler d'être les plus chers, si l'on croit toujours le même témoignage : 25 000 dollars contre 20 000 pour les Syriens et 15 000 pour les autres “Arabes”. Connaissant notre jeunesse, elle trouvera, dans ce prix, motif à se caresser le nombril. Si c'est la gloire que ces victimes sont allées chercher, cette plus-value constituera une reconnaissance posthume d'un ennemi qui sait évaluer ses adversaires. Mais pourquoi diable s'en aller défendre un pays dont le régime est criminel, dont l'armée ne cherche qu'à en finir avec sa défaite et dont les civils, responsables compris, n'attendaient que le revers de leur armée pour saccager, d'abord, et offrir leurs services à l'armée occupante, ensuite ? Que viennent faire des Algériens dans une guerre dont ils ignorent jusqu'aux intentions des antagonistes ? Il faut une dose de haine de soi pour se sacrifier pour une cause qu'on ne peut pas formuler. Quand je pense qu'en huit ans de guerre de libération, pas un Arabe n'a fait la folie de mourir — que dis-je ? de se blesser — pour l'indépendance de l'Algérie, je suis toujours touché par la crédulité des jeunes Algériens nourris à un discours assassin et va-t-en-guerre qui leur trouve des frères partout sauf en Algérie même. Ici, on leur désigne des cibles parmi leurs concitoyens mécréants, tyrans, femmes, traîtres… Il faut avoir une haine des siens pour aller défendre une cause perdue et lointaine alors que son pays et ses compatriotes sont à défendre. N'était-il pas plus indiqué pour nos “volontaires” de défendre, ici, leurs frères, Algériens certes, mais au moins aussi frères que les Irakiens, qu'on assassine ? N'était-il pas plus patriotiques pour eux de rester défendre ici leurs sœurs, Algériennes, mais leurs sœurs tout de même qu'on continue à enlever et à violer ? Lâches ici, pour vaillants là-bas ! Je ne sais pas s'il s'agit de victimes fanatisées qui se sont lassées de leur vie — sacrifice insensé — ou de jeunes ingénus qui ignoraient que leur sacrifice était inutile. Pourquoi, diable, l'Algérien doit-il aller s'immoler au Machrek pour se punir d'être né au Maghreb et montrer ainsi, dans un geste d'autoflagellation, qu'il fait un bon Arabe ? Pis, il semble qu'il n'était même pas le bienvenu. Heureusement que beaucoup d'entre eux ont compris à temps ce principe fondateur de la fraternité arabe : quand les choses se gâtent, sauve qui peut ! Les adeptes des idéologies arabo-islamistes et les aventuriers, qui, par leurs enseignements et leurs discours, encouragent ce genre de suicides, devraient se réjouir de ce nouvel exploit dans l'usage de la jeunesse comme chair à canon de leurs délires. M. H.