cette démarche comporte des visées politiques chez le chef de l'Etat, qui prépare son deuxième mandat, il reste tout de même qu'un tabou vient de tomber. Le président de la République a finalement osé faire le pas. Il s'est rendu à Beyrouth et a pris part au 9e Sommet de la francophonie. L'Algérie a décidé d'adhérer à cette organisation à la fois culturelle et politique. Peu importe la manière avec laquelle a été présentée la démarche, notamment par le ministre des Affaires étrangères, connu pour être foncièrement opposé à tout rapprochement avec les pays francophones. C'est finalement le désormais ex-chef de file du courant islamo-baâthiste, Abdelaziz Belkhadem, qui a annoncé la nouvelle de l'adhésion de notre pays à cet espace. Le chef de la diplomatie a tenté de minimiser ce geste hautement politique de Bouteflika en déclarant que l'Algérie investirait tous les espaces similaires, y compris... le Commonwealth. L'argumentaire développé par Belkhadem, vendredi dernier, en marge des travaux du Sommet de Beyrouth, apparaît beaucoup plus comme une action visant à sauver son image au regard de ses anciens amis de la mouvance islamiste que comme une analyse qui aurait fondé la position de l'Algérie concernant cette question éminemment stratégique. Piégé par la démarche de son ami, le président de la République, l'un des animateurs du clan “antifrancophonie au sein du régime”, aura tenté donc de justifier la décision que venait de prendre Bouteflika dans la capitale libanaise. Celle-ci a surpris tous les observateurs, même si le chef de l'Etat a déjà eu à assister à deux réunions informelles qui ont regroupé des responsables des pays ayant la langue française en commun et dont la dernière s'est tenue à Durban, lors du Sommet de la Terre organisé par l'ONU. Il vrai que ce premier pas, symbolique mais important, mérite d'être salué. Cependant, il est impératif qu'il soit suivi d'autres actes concrets et de prolongements dans les faits. L'annonce faite par l'Algérie d'adhérer prochainement ne doit pas non plus s'inscrire dans le cadre de la manœuvre électoraliste visant à mieux gérer les équilibres politiques en prévision du rendez-vous d'avril 2004. Même si cette démarche comporte des visées politiques chez le chef de l'Etat, qui prépare son deuxième mandat, il reste tout de même qu'un tabou vient de tomber. L'essentiel est le maintien de cette option stratégiquement lourde qui fait sortir l'Algérie de l'isolement décidé et pratiqué par les différents gouvernements qui se sont succédé depuis 1962. Par cette attitude, l'Algérie administre enfin la preuve qu'elle ne nourrit aucune sorte de complexe face à des questions jugées sensibles. Chez les islamo-baâthistes, la décision ne passera pas inaperçue. Il faut s'attendre à une levée de boucliers et à une agitation de certains animateurs d'un courant qui n'a jamais rien compris jamais à la mondialisation ni à “l'explosion technologique”. C'est sur ce terrain que le président de la République est attendu. Cédera-t-il à la pression de ceux qui veulent maintenir l'Algérie dans son isolement ? Fera-t-il une concession en faisant marche arrière comme lors de la visite avortée du chanteur Enrico Macias ? Quel discours tiendra-t-il face à ceux qui ont déjà “réussi” à bloquer la mise en œuvre du rapport de la commission de réforme du système éducatif ? Il est vrai qu'il n'est rien de définitif en politique, mais, la logique voudrait que toute révision “radicale” de la position prise par Bouteflika à Beyrouth soit exclue. Plusieurs éléments plaident pour que le chef de l'Etat maintienne son engagement et, en premier lieu, le fait que ce dernier a été pris et exprimé solennellement devant une quarantaine de chefs d'Etat. Bouteflika prendrait-il le risque de remettre en cause une démarche politique annoncée devant ses homologues, lui qui accorde une grande attention à l'image de marque de l'Algérie — et à la sienne — à l'étranger ? Prendrait-il le risque de décevoir et de perdre le soutien d'alliés précieux, parmi lesquels le Président français ? Et puis ce discours prononcé au Sommet de Beyrouth et dans lequel il a expliqué les raisons de la participation de notre pays à cette réunion pour la première fois depuis la création de cet espace. Les mobiles avancés par le chef de l'Etat sont politiques. Qu'on en juge : “Aujourd'hui, a-t-il dit notamment, nous devons savoir nous départir de la nostalgie chatouilleuse, qui s'exprime en repli sur soi, et nous ouvrir sans complexe à la culture de l'autre. Afin de mieux affronter le défi de la modernité et du développement, par nous-mêmes et dans nous-mêmes.” Dans un autre passage de l'intervention, le président de la République affirme sans ambages : “L'usage de la langue française est un lien qui assure notre unité.” En somme, une démarche reposant sur une pensée politique qui ne doit rien au hasard ou à la conjoncture. On ne peut que se réjouir de cette levée d'inhibition, si souvent différée qu'elle en était devenue peu probable. M. A. O.