Face à la concentration des grands groupes bancaires, à leur spécialisation géographique et sectorielle, notre marché bancaire commence tout doucement à se mettre en phase avec le reste de la planète. Le ministère des Finances a ainsi dicté à ses banques publiques, et donc indirectement aux banques privées installées ou pas encore installées, les contours de leurs compétences et activités. Dans ce contexte, qu'est-il attendu de chacun des protagonistes et quelle sera la réaction des banques privées, comment s'adapter ? Redistribution des tâches dans la sphère publique La Cnep ne financera plus le crédit automobile et se concentrera exclusivement sur le financement de l'immobilier : financement des promoteurs publics et privés, financement des particuliers dans leurs achats de biens. La BNA se limitera à suivre et financer les collectivités locales et autres entreprises publiques à caractère d'utilité publique. La Badr, notre banque verte, va recentrer ses compétences sur le financement de l'agriculture et le suivi des plans et des fonds de développement à l'échelle nationale. La BEA, partenaire historique de Sonatrach, spécialiste des grands projets d'infrastructures et des opérations à l'International des grands groupes publics, prépare une alliance stratégique avec un groupe bancaire d'envergure planétaire pour imposer et asseoir sa domination sur ses secteurs d'activité en particulier. Les implications pour le privé Petites et grandes banques privées en Algérie commencent tout juste à étendre leurs portefeuilles de services au grand public algérien. Les années fastes liées au financement des activités d'importation ont autorisé à certaines de ces banques de présenter des ratios bilantaires impressionnants leur permettant ainsi des politiques de prêt plus agressives. Il faut dire aussi que suite aux divers scandales, les pratiques administratives relatives aux modalités d'octroi de prêts ont pu être maîtrisées et aménagées par ces banques qui commencent tout juste à comprendre le marché et, parallèlement, les consommateurs de ces crédits commencent à comprendre les paramètres. L'ouverture du capital de la BDL et du CPA offre la dernière possibilité, durant la prochaine décennie au moins, aux investisseurs qualifiés d'entrer sur le marché algérien. À l'image des autres pays, une fois ces opérations conclues, le marché deviendra hermétique naturellement : les acteurs seront assez nombreux pour assurer le minimum de concurrence entre eux et proposer un service correct aux clients. Concentration, entente ou nouvel entrant Les prétendants du CPA seront tout aussi intéressés par la BDL. Rappelons que la BDL est une émanation du CPA, à l'origine c'était la même maison. Parmi les concurrents au rachat de ces banques, tous ont une raison plus que valable qui les motive et pour tous, l'autorité a une bonne raison d'apprécier leur engagement. Tout d'abord, il ne serait pas raisonnable d'attendre que les Espagnols de Santander fassent des étincelles pour acquérir le CPA (peut-être pour la BDL plus tard !), malgré une excellente santé financière. Vous me direz dommage. En effet, cette banque aurait tout pour plaire : solide, expérience réussie de privatisation consommée en Amérique du Sud et en Europe, mais voilà, ils sont occupés avec la gigantesque opération de Abn Amro (après celle réussie de Abbey National en Angleterre). Il resterait donc cinq grands acteurs : Citibank, BNP, Société Générale (SG), les Banques populaires (LBP) et la banque verte, le Crédit agricole (Casa). Citibank est dans le cambouis face à la crise du subprime et sa succursale algérienne va certainement souffrir de l'alliance stratégique de la BEA qui va concentrer ses efforts sur la Sonatrach et ses associés. La Citibank n'aura le choix que de foncer sur le CPA et d'y mettre le paquet. Alger pourrait devenir son hub africain et sud-européen, l'enjeu est de taille. La BNP et SG sont naturellement intéressées par le CPA et/ou la BDL. Ces deux banques ont atteint un stade de croissance critique en Algérie, la consolidation de leurs acquis et de leurs efforts devrait se traduire par l'augmentation toujours croissante de leurs réseaux. Et si les réseaux du CPA ou, à terme, de la BDL venaient à échouer entre les mains d'autres concurrents, elles pourraient tout perdre. De plus, ces deux banques ont très bien cohabité depuis l'année 2000 en Algérie, une entente naturelle, déjà existante dans le reste du monde et qui pourrait se traduire dans les faits aujourd'hui sur le terrain algérien, en se “partageant” le CPA et la BDL, avant de se matérialiser ailleurs. Pourquoi pas ? La taille du nouvel ensemble pourrait balancer avec les tailles respectives des banques publiques. Les Banques populaires, connues sous leur filiale algérienne Natixis, ont fait des efforts certains en Algérie. LBP sont bien connues des PME/PMI car elles financent leurs activités, leurs risques devises et taux. On a pu apprécier la disponibilité de leur management durant la phase de travail sur le CPA. Sans bruit ni assistance de grands génies de l'économie et des finances, LBP ont fait leur bonhomme de chemin et, comme l'a souligné leur numéro deux à Oran, elles auront certainement leur mot à dire. Il est maintenant de la responsabilité des autorités d'évaluer leurs compétences et expériences en termes de privatisation et de gestion d'un ensemble comme le CPA. Le Crédit agricole, malgré sa campagne publicitaire erronée et le type de consulting utilisé pour comprendre le marché et l'institution, est la moins connue de toutes les banques précédentes. L'opportunité du CPA et de la BDL est fondamentale pour Casa dans sa stratégie à l'International et particulièrement dans le Maghreb. Sa présence dans les pays voisins et avec qui les PME/PMI locales travaillent peut créer potentiellement beaucoup de synergies. Est-ce que Casa, de par son origine de “caisse coopérative”, à l'image de la CNMA, remplit les conditions techniques minimales pour affirmer être en mesure de gérer la privatisation du CPA et d'en faire un ensemble pouvant concurrencer les banques publiques et les banques privées déjà présentes ? Agenda Cette dernière question se pose pour tous les candidats en ce qui concerne l'autorité. Certes, certaines banques ont la pratique de l'Algérie, des Algériens, et peuvent ainsi prétendre comprendre et apprécier le potentiel du marché et intégrer ainsi la stratégie de l'autorité en ce qui concerne sa vision de l'évolution du marché. Sur la base des offres techniques présentées par les concurrents au CPA, l'autorité pourra apprécier l'expérience et la vision de chacun des groupes cités ci-dessus et décider ainsi qui sera habilité à remettre une offre financière. Un premier verdict sera connu pour la fin de ce mois de novembre et le nom du partenaire stratégique du CPA finalisé pour mi-décembre. Concernant la BDL, il va falloir refaire tout le processus, comme pour le CPA. Espérons que l'on aura retenu la leçon du CPA pour réaliser l'opération d'ouverture de capital aussi vite que nos voisins. Safou Djamel