D'un commun accord, Alger et Paris ont pris le pari de faire l'impasse sur les sujets qui fâchent, dont le dossier de leur histoire commune, un sujet toujours à fleur de peau. Mais, en foulant le sol algérien, Sarkozy n'échappera pas à la question, d'autant que sur cette question sensible et vive, car faisant partie de la mémoire, donc de l'identité, pour reprendre un concept que le président français a lui-même remis à l'honneur dans son propre pays, sa position relève du négationnisme le plus tranché. Déjà, avant sa venue, la polémique s'est installée à Alger avec les rappels des moudjahidine. Sarkozy a la clarté d'avoir endossé le manteau négationniste bien avant d'occuper l'Elysée. Lorsque les députés français avaient voté la loi scélérate sur l'histoire coloniale, il était le chef du parti majoritaire (UMP) et, avec du recul, il est à se demander si cette disposition historique, aux yeux d'historiens français, n'avait pas été adoptée pour faire capoter le Traité d'amitié avec Alger souhaité par Jacques Chirac. Sarkozy à l'Elysée devait reprendre à son compte cette histoire monstrueuse de colonisation française bénéfique et qui a joué un rôle positif ! Plus est encore, il signe et persiste à Alger en juillet en martelant devant son homologue algérien : la repentance, jamais ! Et tout de suite après, à Dakar, où carrément il s'est adonné à un véritable exercice de glorification de la colonisation, n'hésitant pas à faire preuve de racisme en renvoyant les Africains à la fatalité et à leur refus d'entrer dans l'histoire moderne, ignorant les pages les plus sombres de l'histoire coloniale de son pays. Ceux qui avaient pensé au début que son attitude n'était dictée que par des raisons tactiques, conquérir l'électorat d'extrême droite féru d'affirmations ultra nationalistes et de retour d'une France puissante et écrasante comme aux heures les plus sombres de son histoire coloniale, ont vite déchanté. Le président français n'a pas arrêté de caresser dans le sens du poil les harkis, les pieds-noirs, les héritiers de l'OAS et tous les nostalgiques de l'Algérie française. Jamais avant lui un chef d'Etat français n'avait osé aller aussi loin, ne serait-ce que pour éviter de rallumer dans l'inconscience française les crimes commis par le pays symbole des droits de l'homme. Sans compter la crainte de ressentiments chez les Algériens dont ils considéraient le pays comme incontournable et pas seulement pour des liens de nature exclusivement historique. De de Gaulle à Chirac, les prédécesseurs de Sarkozy ont toujours su préserver la “France des lumières”, enfouissant dans les archives l'histoire des viols, enfumades, tortures et assassinats dans les colonies. Cette histoire, Sarkozy estime non seulement ne plus en faire un complexe, mais il la revendique et l'encense. Des monuments sont dédiés à l'OAS dont les morts se voient reconnaître la qualité de morts pour la France. Quant aux harkis, promesse leur est faite de glorifier leur traîtrise. Sarkozy aura remis en selle le discours sur les bienfaits de la colonisation et force est de constater que tout ce que la France compte de nostalgiques de l'Algérie française, animés par le Cercle algérianiste, une organisation qui chante jusqu'à l'OAS fasciste et raciste, lève aujourd'hui la tête. Divers projets du président français s'inscrivent dans cette perspective, tel le Mémorial national de la France d'outre-mer annoncé à Marseille, le Musée de l'histoire de la France en Algérie à Montpellier et à Perpignan, un Centre de la présence française en Algérie. En fait, le discours du président français de l'antirepentance répond à des objectifs politiques, notamment pour consolider à travers l'entretien des guerres de mémoire les rangs de la droite. Pour de nombreux historiens français, et pas des moindres, l'antirepentance a pour objectif, en matière d'histoire coloniale, d'entraver l'évolution de l'historiographie scientifique sur cette page du passé de la France et, à défaut de repentance, ces imminents spécialistes mettent en valeur le devoir de reconnaissance officielle des crimes coloniaux posé comme la condition d'un véritable apaisement, aussi bien pour la société française, qui ne cesse de se diversifier que, comme l'ont montré les réactions critiques aux propos tenus le 26 juillet à Dakar par Sarkozy, ou encore en Algérie, après sa déclaration qu'il n'y avait pas de place pour le repentir dans les relations algéro-françaises, pour les relations futures entre la France et les pays qui ont été autrefois ses colonies. Quoi qu'il fasse, Sarkozy ne pourra pas balayer les faits historiques de l'histoire coloniale de son pays : la colonisation, l'impérialisme, les massacres, les déportations, l'exploitation. La repentance n'est-elle pas une exigence de ce XXIe siècle, appelé le siècle des vérités ? D. Bouatta