S'il y a un ministre heureux d'avoir trouvé son nom sur la liste du gouvernement Ouyahia, c'est bien Boubeker Benbouzid. Certainement, sa joie était double dans la mesure où il n'a pas seulement été repêché mais renvoyé à ses anciennes amours. Benbouzid renoue en effet avec le département de l'Education nationale à la tête duquel il a officié pendant cinq ans. Ne serait-ce son passage rapide au ministère de la Jeunesse et des Sports, il aurait réussi le pari de se maintenir à son poste en dépit des bouleversements ambiants. Or, malgré ce bref intermède, force est de constater que Benbouzid a irrémédiablement marqué les annales politiques en devenant inamovible. Ayant survécu à cinq gouvernements, il reprend les rennes du département de l'Education presque dans l'état où il l'a laissé. Qu'est-ce qui a motivé son retour ? Doit-il son come-back à sa gestion du secteur, à un compromis, à un calcul politique ou à un coup de pouce d'un éventuel parrain ? Benbouzid est arrivé au gouvernement sous le règne de Liamine Zeroual en 1994. C'est Mokdad Sifi, alors Premier ministre, qui lui offrira le portefeuille de l'Enseignement supérieur et de la Recherche scientifique. Lui succédant, Ahmed Ouyahia le maintiendra à son poste. Les deux hommes appartiennent à la famille politique du président Zeroual, le RND. Après le triomphe de celui-ci aux élections législatives et locales de 1997, Ouyahia est reconduit dans ses fonctions et Benbouzid promu ministre de l'Education nationale. Il obtient cette consécration en dépit d'une gestion controversée du département de l'Enseignement supérieur qui connaissait alors le début d'une agitation sans précèdent dans les campus. A l'éducation nationale, Benbouzid se présente comme l'homme du changement. Il impulse une grande réforme de l'école qui comprend autant de volets que la révision des programmes et du contenu des manuels, la formation des formateurs ainsi que l'ouverture de l'enseignement au privé. Singulièrement, sa réforme coïncide avec une autre initiée par le Conseil supérieur de l'éducation (CSE), un organe consultatif rattaché à la présidence de la République. D'aucuns noteront une rivalité entre le CSE et le département de Benbouzid. Les projets sont identiques. Leur sort également. En effet, si le CSE est dissous à l'élection de Abdelaziz Bouteflika, la grande révolution promise par le ministère est aussi mise au placard. Benbouzid est resté, mais son projet s'est envolé. A la place, Bouteflika propose une nouvelle réflexion. Il crée une commission de réforme et lui assigne le rôle d'arrimer l'école à la modernité et au développement. La mission s'avère difficile, compte tenu d'une véritable levée de boucliers des islamo-conservateurs. Fin prêt, le rapport de la réforme est mis dans un tiroir. Il ne sera exhumé qu'à l'issue d'un remodelage qui l'expurge de toutes ses résolutions avant-gardistes. C'est sous sa forme “soft” qu'il sera adopté par le Conseil de gouvernement. L'application des chapitres qui fâchent, tels que la réhabilitation de la langue française, est ajournée. Sur ce sujet précis, Benbouzid préfère, quant à lui, souffler le chaud et le froid. Il avait dans un premier temps annoncé la mise en œuvre imminente de la réforme, y compris dans son volet linguistique avant de se rétracter en affirmant qu'une telle opération exigeait une préparation technique. En fait, Benbouzid savait jouer aux équilibristes au gré des circonstances. C'est peut-être cela qui lui a valu son retour à l'éducation nationale. Car, contrairement à Nourredine Salah, son prédécesseur, Benbouzid pourrait, grâce à son sens du compromis, faire passer à petites doses le projet de Bouteflika, sans créer de vagues. Il pourrait aussi apaiser le front social en ébullition en multipliant les offres de dialogue. Personnage frileux, effacé, l'ex- ministre, Noureddine Salah, a, pour sa part, grandement raté son passage au gouvernement. En tant que rapporteur de la commission de réforme, il était pourtant le mieux placé pour imposer le changement. Or, à trop vouloir opérer dans la discrétion, il a donné l'impression d'une profonde apathie. Que fera alors Benbouzid ? A moins d'une année de la présidentielle, il pourrait toujours continuer à nourrir l'illusion de la réforme… en attendant la grande réforme. S. L.