Le barreau d'Alger observe une grève de trois jours. Que les avocats recourent au débrayage pour faire valoir leurs prérogatives est révélateur de l'état de la justice nationale. L'ingérence de plus en plus franche du pouvoir dans la décision de justice est incontestable, en particulier quand il s'agit d'affaires politiquement sensibles. Deux exemples récents illustrent cet interventionnisme : les procès des délégués du mouvement citoyen et les poursuites contre la presse indépendante. Dans le premier cas, des avocats, sans être tout de même identifiés, sont accusés d'avoir prêté à un délégué une robe de magistrat pour l'aider à fuir les policiers venus l'arrêter. Le tribunal n'a pas vu l'offense dans le geste d'une police venue procéder, dans l'enceinte judiciaire, à l'arrestation d'un justiciable convoqué par le juge et qui s'est régulièrement présenté au palais de justice, mais a su remarquer le stratagème virtuel par lequel le délégué a tenté de se dérober à son arrestation inopinée alors qu'il attendait d'être interrogé par un magistrat ! Dans le second, un procès a été reporté au plus loin pour pouvoir préalablement poursuivre l'avocat des deux journaux, dont la protestation contre la décision du tribunal de tenir audience malgré l'absence du plaignant, qui se trouve être le directeur général de la Sûreté nationale, a été estimée outrageante par le président. Dans les deux situations, la défense se retrouve prise à parti au cours d'une procédure où elle passe du statut d'auxiliaire de justice à celui d'accusé explicite ou implicite. Dans un contexte où la frontière entre les différents pouvoirs théoriques a cédé du fait de la domination du pouvoir exécutif, la loi n'a plus de force. Le texte comme la procédure ne sont que des alibis malléables au gré des intentions du puissant. Souvent, quand le citoyen est visé par l'arbitraire des maîtres qui le trouvent subversif, la procédure prend son sens littéral et devient une formalité qui précède et légitime le châtiment programmé. Les modalités savent s'adapter aux vœux des inquisiteurs et la loi n'est pas toujours très regardante sur l'usage instrumental qu'on lui impose fréquemment. Ce qui permit la mémorable condamnation des cadres de Sider, puis leur réhabilitation. N'est-ce pas Zerhouni qui disait au sujet de la légitimité des maires de Kabylie élus avec une insignifiante participation : “La loi n'est pas un obstacle ?” Il arrive cependant que, dans des cas de dépassement, la défense s'entête à jouer son rôle et insiste sur le respect des formes judiciaires. Et puisque, comme on dit dans le jargon professionnel, la forme importe autant que le fond, cette gênante orthodoxie est perçue comme une obstruction qui complique la conduite du procès et oblige à de longs détours avant que l'aboutissement souhaité ne survienne. Il ne faut plus s'étonner qu'une justice, à l'occasion partiale, confonde alors, une maudite entité “avocat-accusé”, tout ce qui s'avance à la barre. D'après les griefs retenus par le barreau d'Alger en grève, les limitations du droit de la défense se poursuivent hors audience et concernent le fonctionnement même des cours. L'avocat est assimilé au justiciable, traité en élément externe à l'institution judiciaire et restreint dans les droits liés à sa fonction. Les droits de la défense elle-même fonctionnaient comme un leurre dans certaines parodies de justice. Avec leur restriction, devraient s'envoler les dernières illusions d'Etat de droit. M. H.