Le SG de la puissante Union générale des paysans algériens fait le bilan du PNDA en des termes peu amènes. Il parle d'argent dilapidé, de financements inégaux d'une wilaya à une autre, d'entraves bureaucratiques… M. Mohamed Alioui n'y va pas de main morte pour critiquer la politique agricole actuelle, en plus clair, le PNDA : le Programme national du développement agricole, cheval de bataille du dispositif mis en œuvre par le Dr Saïd Barkat. Le patron de l'UNPA, qui nous a reçus, hier, au siège de l'organisation qu'il dirige, estime, en effet, que le projet relatif à la réforme du secteur est tout, sauf bon. Et ce ne sont pas les griefs qui manquent : “L'argent public destiné aux agriculteurs est en train d'être dilapidé à gauche et à droite. Il n'y a aucune transparence dans la gestion des deniers alloués au secteur agricole. Il y a des inégalités criardes d'une wilaya à une autre, dans l'octroi des aides de l'Etat. A potentiels agricoles égaux, certaines wilayas jouissent de milliers de milliards au moment où d'autres sont carrément marginalisées. Par ailleurs, les bénéficiaires de ces aides ne sont pas toujours les plus méritants. Il y a une opacité totale dans la distribution des terres. Il y a des gens qui ont pris des exploitations depuis dix ans et n'en ont rien fait,” assène M. Alioui. Notre interlocuteur le dit sans ambages : “Il y a des barons qui sont privilégiés. Il y a trop de parasites dans ce secteur.” Le secrétaire général poursuivant sa litanie ajoute : “Les agriculteurs sont en butte à toute sorte d'entraves bureaucratiques. Quand un investisseur national veut s'engager avec un projet ambitieux, il est soumis à un véritable parcours du combattant, alors que pour tel investisseur saoudien et autres hommes d'affaires du Golfe, on déroule le tapis rouge. Et à la fin, ils font la fine bouche. Les éleveurs vivent une grande misère. Il y a 17 000 têtes de cheptel qui sont menacées. Les éleveurs sont exposés quotidiennement au terrorisme. Le secteur agricole a payé un lourd tribut pour que le pays reste debout. Mais le soutien de l'Etat demeure faible. L'aide de l'Etat à l'agriculture est de 4,5% seulement, alors qu'en France, par exemple, elle est de 36%, et en Espagne, de 40%.” Pour illustrer cette gabegie, M. Alioui cite le cas d'une wilaya très riche comme Adrar qui connaîtrait aujourd'hui, à l'en croire, un certain délaissement : “Cette wilaya qui a fait l'objet d'une expérience-pilote grâce à Kasdi Merbah, a reçu des fonds substantiels, mais les bénéficiaires étaient des gens étrangers au secteur. 36 000 hectares y ont été distribués. Moi je pose la question dans le rapport que nous allons adresser au chef de l'Etat : où est passé l'argent injecté dans cette wilaya ? Pourquoi Adrar connaît-elle un net recul depuis quelques années, au moment où telle wilaya est l'objet d'une grande attention, jouissant de crédits équivalant à ceux de vingt wilayas ?!” L'UNPA tire, par ailleurs, la sonnette d'alarme quant au détournement des exploitations agricoles de leur vocation initiale : “Les terres sont envahies par le béton comme à Staouéli et à Zéralda. Il y a eu même un décret signé conjointement par le ministre des Finances et celui de l'Agriculture, et qui autorise les exploitants agricoles à céder leurs titres d'exploitation sans passer par le propriétaire originel à savoir l'Etat. Ainsi, des exploitants qui avaient pris de l'âge ou qui sont à court de capitaux, ont cédé leurs exploitations à des individus qui les ont séduits par des offres alléchantes.” Le secrétaire général souligne, en outre, l'inadéquation de l'environnement dans lequel évolue le secteur agricole : “Notre système bancaire est archaïque. Nous continuons à fonctionner avec des banques administratives. Tout est administré. Le ministère de tutelle siège dans le conseil d'administration du CNMA. Les bureaux des chambres d'agriculture ne sont pas renouvelés, leurs assemblées générales étant gelées. C'est encore le ministère qui gère les chambres.” Bref, pour l'UNPA, tout est piloté depuis le “boulevard Amirouche”. Notre interlocuteur ajoute que dans les commissions de wilayas qui décident de l'octroi des aides consenties dans le cadre du FNDRA (Fonds national de développement agricole), les paysans n'y siègent que pour la forme. “L'UNPA n'a qu'un rôle consultatif. Le directeur de l'agriculture est, de facto, le président de la commission”, dit-il. M. Alioui nous apprend, au passage, que des recours ont été enregistrés dans vingt wilayas. “Ces recours ainsi que l'ensemble de nos réserves feront l'objet d'un rapport que nous allons adresser directement au président de la République”, déclare le SG de l'UNPA. S'exprimant au sujet du dispositif réglementaire actuellement en préparation, nous pensons notamment à l'avant-projet de texte portant amendement de la loi 87-19 du 8 décembre 1987 relative à l'exploitation des terres agricoles, M. Alioui souligne de la façon la plus formelle que “ce texte n'a pas été soumis à débat, et qu'il a été confectionné sans aucune consultation préalable de la puissante UNPA, organisation satellitaire du FLN, faut-il le rappeler, et qui se targue de chapeauter 1 million d'agriculteurs.” “Le projet actuel est éloigné des réalités du terrain et des vrais problèmes des exploitations agricoles. Pis, le projet n'a guère associé les premiers concernés et n'a pas consulté leurs représentants, en l'occurrence l'UNPA”, lit-on dans une déclaration de l'Union à propos de cet avant-projet. Au prétexte que ce sont des questions trop “techniques”, “on a écarté les paysans, comme s'ils n'étaient pas capables de les débattre”, s'indigne M. Alioui. A noter qu'une réunion avait regroupé au mois de ramadhan dernier le SG de l'UNPA avec le Chef du gouvernement, M. Ali Benflis, et le premier responsable du secteur, le Dr Barkat. La réunion a débouché sur une impasse. “Aujourd'hui, nous sommes en trêve. Mais si l'actuel projet passe, nous sortirons les paysans dans la rue !” menace le SG en rappelant qu'à l'occasion de la 4e session de son conseil national, tenue les 26 et 27 décembre 2002, l'UNPA avait rejeté en bloc les textes relatifs à l'amendement de la loi 87/19 et l'avant-projet de l'orientation agricole. Enfin, interrogé sur son sentiment quant au maintien de Barkat à la tête du secteur dans le gouvernement Ouyahia, M. Alioui a eu ce commentaire : “Nous n'avons rien contre l'homme. Toutefois, nous espérons que M. Ouyahia sera à l'écoute des agriculteurs. Notre souhait est que le dossier du foncier agricole, qui est au centre de force marchandages politiciens, ne serve pas d'alibi à des surenchères électoralistes. Ce dossier doit être traité avec sérénité, en dehors de toutes les spéculations partisanes. Aussi doit-il être différé à l'après-présidentielle de 2004.” M. B.