La question des harkis, parlons-en au sens de la triple vérité culturelle, historique, humaine et morale. Au contraire en Algérie, après une période d'espoir avec les nationalistes (1962-1970), on arrive 50 ans après la fin de la guerre de libération à relancer et à entretenir des sentiments dépassés. Pour servir quelle cause, quels intérêts, quelle frustration ? Les Algériens super nationalistes disent : «On ne veut pas que les étrangers s'emparent de nos richesses». Or, le problème n'est plus d'avoir des richesses comme cet avare affamé assis sur son coffre d'or, mais d'en tirer profit, d'en faire l'exploitation, d'en faire profiter les populations concernées. Quel filet, quel culte du rejet emprisonne et empoisonne la population, la jeunesse ? Que veut-on exactement ? Refaire la colonisation autochtone ? Refaire la révolution islamique avec des historiens, des scientifiques et des combattants ? C'est non seulement un prétexte pour ne rien bouger, mais aussi pour tenter de justifier les abus du temps présent à travers un miroir déformant. Il est temps de le comprendre. C'est la première condition du rapprochement de notre pays, avec les autres. Alors, commençons pas le commencement et, là, il n'est plus question des acteurs de l'histoire mais de leur progéniture, à savoir les enfants de pieds-noirs, et de harkis, les enfants de moudjahidine et les enfants de chouhada, qui sont tous des victimes civiles de la guerre qu'a faite la France en Algérie. La violence de la guerre d'Algérie faite par le colonialisme français à notre pays est indéniablement l'acte qui a créé toutes les violences qui ont suivi et cela jusqu'au terrorisme que nous vivons à ce jour. Car la violence trouve ses origines dans un certain mois de juillet 1830 et il s'en est suivi que les Algériens n'avaient d'autres alternative que d'utiliser la violence à leur tour pour libérer leur pays de l'occupant étranger. Et puis, ce fut le tour des enfants de la guerre d'Algérie d'imiter leurs prédécesseurs comme si la violence était chez les Algériens un phénomène de société et, pour cela, rappelons-nous aussi que les terroristes étaient pour la plupart soit des fils de harkis, soit des fils de moudjahidine, soit des fils de chouhada ! Les journaux des années 1990 sont encore là pour le prouver. Et cela, il faut toujours l'avoir présent à l'esprit pour la bonne compréhension des évènements et des choses de la vie. Car la violence n'a jamais été un phénomène inné à la société algérienne. Bien au contraire, le virus de la violence nous a été inoculé par les injustices que nous a faites l'occupation étrangère et plus particulièrement sophistiquées par la France «civilisatrice». D'ailleurs, il ne peut y avoir de réelle réconciliation en Algérie entre Algériens si l'on ne prend pas le mal à la racine et que l'on ne commence par réconcilier les Algériens avec leur histoire. C'est pourquoi il faut démystifier, désacraliser et dénationaliser notre histoire, afin d'aboutir à la triple vérité culturelle. Car, dans un Etat libre, il n'appartient ni au Parlement ni à l'autorité judiciaire de définir la vérité historique. La politique de l'Etat, même animée des meilleures intentions, n'est pas la politique de l'histoire. La question des moudjahidine et des harkis, tous deux acteurs de l'histoire, n'a pas encore été vue, réfléchie et analysée comme l'exige la triple vérité historique, humaine et morale. Il est évident que l'un et l'autre sont la face et le revers de la même pièce. La guerre d'Algérie n'a pas été faite avec les seuls soldats français pour des raisons de préservation du potentiel militaire français, dont les criminels stratèges ont mis sur pied l'action de diviser pour régner, afin d'opposer une tribu à une autre, une famille à une autre et pousser les frères et les cousins à s'entretuer. Et c'est le cas du harki et du moudjahid, qui se sont combattus jusqu'à s'entretuer. Chacun a opté pour un camp, mais les raisons du moudjahid sont simples et saines, il voulait libérer son pays de l'occupant français. Par contre, les raisons du harki sont diverses et infondées. Et cela on ne peut le nier à moins d'une évidente mauvaise foi. De bonne guerre, il y a eu des membres du FLN/ALN qui se sont ralliés à l'armée française, comme il y a eu des harkis, qui, dans leur parcours du combattant pour la cause française, ont pris conscience de leur erreur et se sont repentis en désertant l'armée française pour rallier l'Armée de libération nationale où ils ont servi avec bravoure et courage jusqu'à l'indépendance de l'Algérie et beaucoup parmi eux sont devenus cadres supérieurs de la nation. Ces harkis qui ont déserté l'armée française avec armes et bagages et ont mis les techniques militaires qu'ils connaissaient au service de la libération de leur pays et de leur peuple ont renforcé la résistance à l'occupant et fait avancer la libération en portant des coups sévères à l'occupant français. Maintenant que la guerre est finie, que l'Algérie est indépendante, que les moudjahidine et les harkis sont pour la plupart décédés et que la minorité restant en vie a dépassé la soixantaine avec des maladies chroniques, amnésiques, psychologiquement atteints, pour la plupart inapte à 100 % qui n'attendent que la mort, la vraie question, le vrai problème concerne les enfants de ceux-ci et de ceux-là... Qui s'est préoccupé de les réconcilier entre eux ? Qui s'est préoccupé de les faire se rencontrer ? Qui s'est préoccupé de les fraterniser ? Qui s'est préoccupé de ressouder les morceaux de cette cellule familiale, qui, qu'on le veuille ou non, est algérienne par le sang ? C'est à croire que, depuis 1962, c'est-à-dire durant un demi-siècle d'indépendance, il n'y a eu aucune préoccupation humaine digne de ce nom pour dire que le moudjahid et le harki étaient des frères, que la politique coloniale française les a fait s'entretuer et, de ce fait et pour beaucoup d'autres raisons toutes aussi valables les unes que les autres, les enfants de chouhada, les enfants de moudjahidine et les enfants de harkis sont tous des victimes du même agresseur, et ils et elles, filles et garçons, ont le devoir sacré de confronter l'autorité française pour lui dire : «Vous êtes la cause de ce qui nous est arrivé, c'est vous qui avez provoqué cet accident de l'histoire !» Ces victimes, qui ont aujourd'hui entre 50 et 60 ans, il nous faut leur dire qu'ils doivent guérir du mal qui leur a été inculqué faisant qu'ils se sont débattus entre le choix de vivre leur vie ou de vivre celle de leurs parents ? Il faut espérer que ces hommes et ces femmes se réveillent pour assumer leur destin, celui de victimes civiles de la guerre d'Algérie. Ils ont le devoir de se réconcilier avec l'autre partie de victimes civiles de la guerre d'Algérie qui se trouve de l'autre côté de la Méditerranée. Car ce démembrement de la famille algérienne est à mettre dans le génocide reproché à la direction politique de la France de l'époque et pour lequel les victimes doivent mettre main dans la main et faire face à l'Etat français pour exiger qu'il reconnaisse ces torts. S'il existait seulement quelque part des gens mauvais et s'il suffisait seulement de les séparer du reste de la société et de les détruire pour que les choses aillent mieux, ce serait formidable. Mais la frontière qui sépare le bien du mal passe par le cœur de chaque être humain. Alors il n'y a rien d'autre à dire à ceux qui ont la haine de la vengeance qu'il existe une loi implacable qui veut que lorsque l'on nous inflige une blessure, nous ne pouvons en guérir que par le pardon. Et libre à chacun de ne pas oublier. Dans le monde entier, les gens ont mal. Le tragique, c'est que, face aux méfaits des guerres, ils se comportent comme s'il n'y avait pas d'issue. Ils disent : c'est la vie, on n'y peut rien. Ils ne veulent pas parler de la solution qui est le pardon. Seule une culture du pardon pourra mettre fin aux cycles de la violence et du désespoir et enclencher de nouveaux cycles d'espoir et de fraternité. Cela prendra du temps parce que le pardon est un choix très personnel — je parle en connaissance de cause — qui demande que l'on regarde en soi-même. Les gens ont besoin qu'on leur montre pourquoi il est nécessaire de prendre toute cette peine. Ils ont besoin d'entendre des histoires de pardon pour que leur cœur soit touché. Parce qu'avant de changer le monde, il faut se changer soi-même. C'est en soi-même que doit commencer le changement et c'est ensuite que vos relations changeront, et, à votre contact, votre famille et votre communauté changeront aussi. Si vous rencontrez celui qui a tué votre mère, votre cousin ou votre oncle, comment lui parleriez-vous ? Est-ce que vous lui parleriez comme vous l'auriez fait avant les massacres ? Sans l'amour, c'est impossible. Nous avons besoin de messages porteurs de véritable guérison qui nous délivrent de nos rancunes, qui nous sauvent de la haine, qui nous libèrent de nos vieilles chaînes. Les gens sont encore prisonniers de la peur, de la colère, de la méfiance et de l'esprit de vengeance. Je crois fermement que l'on peut se libérer de tout cela, pas seulement en France et en Algérie, mais en Afrique aussi, et pourquoi pas dans le monde entier Il y a une raison très pragmatique au pardon. Quand on nous fait du mal, nous pouvons chercher la vengeance ou nous pouvons pardonner. Si nous choisissons la vengeance, notre vie sera rongée par la colère. Et quand la vengeance est accomplie, elle nous laisse vide. La colère est une pulsion difficile à assouvir et elle peut devenir une habitude. Le pardon, lui, permet d'aller de l'avant. Et puis, il y a une autre raison qui force le pardon. C'est un don, une clémence. C'est un cadeau que j'ai reçu et que j'ai aussi donné. Dans un cas comme dans l'autre, il m'a pleinement comblé. Il peut être infiniment plus grave de refuser de pardonner que de commettre un meurtre : le meurtre peut être commis dans un moment d'égarement, sous l'influence d'une soudaine impulsion, alors que le refus de pardonner est une fermeture du cœur froide et délibérée. On peut ne pas oublier, mais on peut pardonner. (Suite et fin)