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«Permettre aux femmes d'avoir le choix et de ne plus être instrumentalisées au nom d'intérêts différents de leur santé»
Publié dans La Nouvelle République le 15 - 04 - 2012

En marge de la cérémonie de clôture du Congrès international d'oncologie, qui s'est tenu du 4 au 6 du mois en cours à Bordj Bou-Arréridj, nous avons saisi l'opportunité de la présence d'un des militants contre les méfaits du dépistage organisé du cancer du sein, généralisé depuis 2004 à toutes les femmes de 50 à 74 ans, le docteur et enseignant-chercheur Bernard Junod. Pour ce médecin de santé publique, les surdiagnostics traités à tort ont conduit à une illusion de la guérison.
La Nouvelle République : Bonjour Dr Junod, je vous présente à mes lecteurs. Vous êtes chercheur et vous vous êtes principalement intéressé à tout ce qui est dépistage de cancer et, ce qui m'intéresse particulièrement, c'est de parler du dépistage du cancer du sein, puisque, durant ce congrès, vous avez soulevé un problème méconnu pour nos médecins traitants sur l'intérêt de dépister le cancer du sein pour toutes les femmes. Est-ce qu'on peut avoir plus de précisions ? Dr Bernard Junod : On s'aperçoit que les préjudices dus au dépistage, notamment du cancer du sein et de la prostate, sont considérables. A l'heure actuelle, des biens portants sont inutilement soignés tandis que les bénéfices attendus ne se produisent pas chez les malades. Alors l'indépendance face au marché de la santé est capital pour apporter des éléments utiles pour faire un choix, en l'occurrence le choix pour une femme d'accepter ou non l'invitation qui lui est adressée pour participer à cet examen de dépistage. Le professeur Bendib et vous avez même parlé des dangers du dépistage du cancer du sein par mammographie. Quels sont ces dangers? Il y en a qui sont liés au traumatisme physique au moment où le sein est sous l'appareil : il est comprimé. Alors, selon les lésions qui se trouvent à l'intérieur du sein, on peut penser que ce traumatisme peut avoir quelques conséquences néfastes. Il y a les radiations ionisantes qui sont indésirables en soi ; on a pu le prouver lorsque l'on faisait des examens radiologiques des femmes. Les radiations ne sont pas sans aucun danger, mais le danger du dépistage vient en fait de la mauvaise représentation que les médecins ont enseignée et hérité de leurs ancêtres sur ce qu'est un cancer, sur l'histoire naturelle du cancer. Parce que le but du dépistage, c'est de traiter la maladie cancéreuse qui entraîne, par des métastases dans les poumons ou dans le cerveau, une atteinte des organes vitaux. Pour cela, on utilise la chirurgie pour faire l'ablation de la tumeur, voire du sein entier et des ganglions lymphatiques que l'on suspecte en relation avec la tumeur. Ensuite, on pratique des radiations à forte dose pour essayer de détruire les cellules considérées comme dangereuses, les cellules tumorales. On prescrit également des médicaments, ce qui joue un rôle sur le plan économique du marché de la santé. Ce dont on s'est rendu compte, c'est que la définition de la maladie cancéreuse fondée sur l'examen au microscope d'un prélèvement de la tumeur suspecte lors de l'examen mammographique pose problème : le diagnostic fait sur la biopsie envoyée dans un laboratoire qui l'examine après coloration n'est pas fiable pour dire si une femme est atteinte ou non d'un cancer du sein. Si la biopsie est bien faite et que la femme a une maladie cancéreuse du sein, on le voit ; l'examen est dit sensible. Par contre, il peut arriver que, lors de la biopsie, on prétende à l'examen de laboratoire qu'il y a une maladie cancéreuse à cause de l'allure des cellules et du tissu qui a été examiné alors qu'en fait la maladie cancéreuse ne se serait «jamais» déclenchée. Le drame c'est qu'il existe dans la population féminine des quantités de ces pseudo-cancers, de lésions qui n'auraient jamais eu de conséquences sur la santé de la femme. C'est pour cela que le dépistage représente aujourd'hui, un danger «considérable» dans toutes les populations des pays où l'on pratique le dépistage systématique du cancer du sein. En résumé, c'est que l'on peut avoir un début de lésion au niveau du sein, mais qui ne deviendra peut-être pas forcément un cancer. Mais il y a beaucoup de cancers… Parce qu'on fait plus de biopsies, donc on trouve plus de ces faux cancers. On pourrait peut-être bien imaginer que ce que l'on appelle un cancer est une réaction utile pour se débarrasser, je ne sais, d'une substance toxique, par exemple. Je ne connais pas la réalité des causes de ces nombreux pseudo-cancers, mais, en aucun cas, ils ne sont dangereux pour la vie de la femme. Ils peuvent complètement régresser ou rester pendant de nombreuses années dans le même état. Donc, il manque à coup sûr un élément de décision pour traiter qui soit lié à l'observation de l'évolution de la maladie. Quand on fait un examen de dépistage, on a une situation photographique ; un instant donné avec une biopsie que j'appelle ponctuelle dans le temps, mais qui ne permet pas de prévoir ce qui va se passer ensuite. Il y a des femmes diagnostiquées qui guérissent ? Les médecins qui soignent les femmes diagnostiquées sont sûrs qu'ils arrivent maintenant à les guérir beaucoup mieux du fait qu'on les trouve tôt ces cancers. En fait, c'est une pure illusion liée au fait qu'ils n'ont pas le critère qui permet de dissocier la situation où la femme aura les conséquences de la tumeur prélevée et les situations où il s'agit d'une situation sans danger. Il y a de telles pressions par rapport aux règles, aux protocoles de soins, aux influences qui s'exercent pour maintenir cette pratique, que les choses n'ont pas vraiment évolué et on considère le diagnostic qu'on appelle histologique, établi au laboratoire, comme un diagnostic de certitude. C'est ce qui pose des problèmes dans la population actuellement. Si une patiente atteinte d'un cancer histologique qui a été dépisté vient vous voir, qu'est-ce que vous lui proposez ? Qu'est-ce qu'on peut lui recommander : se faire traiter tout de suite ou attendre ? Il faut, puisqu'on a des techniques d'imagerie qui actuellement ne sont pas nocives – il y a par exemple l'IRM qui est très peu nocive –, pouvoir suivre l'évolution de cette lésion suspecte «avant» qu'on mette une aiguille dedans. C'est ce que d'ailleurs je recommande aux médecins algériens. Donc, ma recommandation n'est pas d'aller intervenir le plus tôt possible sur une tumeur qui révèle un vrai cancer, parce qu'effectivement on a une surmortalité dans les 2 ou 3 ans qui suivent l'interventionnisme médical à cause des phénomènes qui sont vraisemblablement ceux de la dissémination, mais cela peut être également à cause de la modification de la perméabilité des cellules. Si vous voulez, il y a des messages chimiques qui vont révéler des métastases qui se trouvent en train de dormir tranquillement dans les poumons, dans le cerveau, et lorsque vous avez fait cette biopsie, cela va réveiller ces métastases. C'est un petit peu comme lorsqu'on se blesse avec un couteau. Eh bien, il y a un message qui vient de l'inflammation dans la zone où vous vous êtes blessé, qui donne l'ordre aux cellules restantes de se multiplier pour cicatriser. Et on aurait un phénomène assez analogue dans le domaine du cancer du sein qui effectivement montre que l'interventionnisme physique sur la tumeur est dangereux. Donc je ne dis pas du tout qu'une femme doive supporter d'être défigurée par son cancer, mais se précipiter par la chirurgie sur un cancer du sein est très probablement une attitude qui ne devrait pas être recommandée. Quelles femmes devraient se faire dépister ? Par exemple, celles justement qui ont des antécédents familiaux de cancer du sein, est-ce que vous leur recommanderiez de faire des mammographies à intervalles très réguliers ? En fait, compte tenu de notre manière de soigner le cancer du sein, qui est le plus souvent indépendante d'une connaissance du mécanisme qui cause cette maladie, je pense que l'interventionnisme médical n'a pas beaucoup d'intérêt. Je pense qu'au moment où l'on a identifié et qu'il y a un vrai problème qui se pose, là, oui, on peut parier sur le mieux qu'on va avoir par une médication efficace. On peut aussi essayer de soigner comme on fait des fois avec les antibiotiques, sans avoir fait de prélèvement précis pour savoir quel germe on a. Eh bien on y va, on met les produits qui bloquent les récepteurs hormonaux. Mais je ne suis pas personnellement convaincu qu'avec notre peu de connaissances de ce qu'est la maladie cancéreuse, on apporte beaucoup de bénéfices avec les soins locaux à visée thérapeutique, c'est-à-dire les soins locaux qui sont destinés à guérir la maladie. Alors je ne nie pas du tout l'importance capitale des soins d'accompagnement ou des soins liés à l'esthétique et à la psychologie de la personne. Toute cette phase où il faut accepter que c'est le corps qui décide de la durée d'une vie. C'est un apprentissage difficile et où les soignants doivent permettre à la personne de faire ce chemin dans les meilleures conditions et surtout en souffrant le moins possible. Là, il y a énormément encore à améliorer dans le fonctionnement de nos soins pour la maladie cancéreuse du sein. Je vous remercie d'avoir répondu à mes questions et je vous souhaite une bonne continuation... Merci, c'est moi qui suis vraiment très reconnaissant que vous ayez pris la liberté de me poser ces questions et de faire confiance à ce que j'ai pu constater par mes travaux de chercheur.

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