Silence, à Jijel on tue les terres nourricières. Personne ou presque ne lève le petit doigt pour mettre un holà au détournement des terres agricoles nourricières des berges des oueds Jijel et Ennil. Les serres qui étaient vues de l'avion lors de l'atterrissage ou du décollage par les voyageurs et qui faisaient leur fierté commencent à disparaître et laisser de la place aux parcs de stationnement des voitures importées par la mafia financio-foncière. Les Jijeliens pleurent la déperdition des terres nourricières et ce constat en fin de compte fait suite au voyage que nous avions réalisé sur les lieux. Des centaines d'hectares, qui, hier, nourrissaient les citoyens de plusieurs wilayas limitrophes. Pour mieux constater la débâcle, nous avions décidé avec nos compagnons de nous rendre sur les lieux. Dans les communes d'El-Kennar, de Chekfa et du lieudit Djimar, on a l'impression d'évoluer dans un tunnel et l'on ne voit plus les serres nourricières qui ont cédé la place au béton et au tuf. Des portes entrouvertes nous distinguons des milliers de voitures neuves qui ont débarqué des bateaux usines venus de tous les ports du monde. Un peu plus loin, des camions de grand tonnage et des engins en train d'asphyxier les terres arables avec le tout venant des oueds environnants et du tuf ; leur stérilisation est alors définitive et irréversible. Sur l'armoirie d'Igilgili, il n'y aura plus de grappe de raisin, encore moins de corne de richesse, mais que de la ferraille. On regrettera alors les terres qui faisaient travailler et vivre les habitants locaux et on se rendra compte que le gain pour une seule personne ne profite jamais à la communauté. Dans le village, les grenetiers ne vaquent pas comme auparavant. Ils ferment leurs magasins et leurs étagères sont moins achalandées. Parmi ces lots de terre, il y a un qui connaît des travaux de bétonnage impressionnants : il est longé par la RN43, juste avant le branchement qui bifurque vers Chekfa et qui est à l'origine des controverses. Appartenant auparavant à un certain Khellaf, parmi les terres restituées par la loi de 1990 post-révolution agraire, ce terrain était à très haut rendement agricole (culture intensive sous serres). Il l'a cédé à un entrepreneur qui faisait croire à celui qui voulait l'entendre que c'est pour réaliser des étables. Sur les lieux, c'est toute la surface qui est remblayée et qui est prête à recevoir les dalles de béton. Cette surface dépasse de loin les 5 hectares. Jijel va alors battre le record du gigantisme des étables. Paraît-il, le wali de Jijel avait introduit l'affaire en justice et que cette dernière a été rejetée pour cause de la légalité du permis de bâtir. On est en droit de poser de questions qui nous semblent fondamentales : où était l'autorité (DSA de Jijel) quand les travaux ont été lancés ? Pourquoi la loi 10/03 portant sur les terres du domaine privé de l'Etat n'a pas été appliquée? Qui ferme les yeux et ceux des citoyens qui gardent un peu de liberté ? Pourquoi ces «experts agréés auprès des tribunaux de Jijel dans le domaine de l'agriculture» se permettent de désigner une terre arable ou pas ? Et tant d'autres questions que l'on voudrait poser. Si Hakim Laalem fume du thé à cause du cauchemar qui continue, nous, de notre côté, on pleure l'avenir de l'armoirie d'Igilgili qui ne comportera que du béton au lieu et trace de grappes de raisin et de rameau d'olivier. Du moment que Jijel a tourné le dos à la mer et n'aura plus de terres arables, les fruits et légumes ne seront appréciés que sur les photos.