Il a fêté ses 40 ans hier mardi, cumule 250 buts avec la Roma en série A et n'a porté qu'une tunique, celle de son club de cœur. Focus sur le dernier héros du football romantique. Dans la Rome Antique, l'empereur avait le droit de vie ou de mort sur les gladiateurs à travers un geste du pouce. Son pouce, Francesco Totti le met plutôt dans sa bouche à chaque fois qu'il fait trembler les filets adverses, ce qui est arrivé 306 fois exactement sous le maillot de la Roma. A défaut de l'avoir, à l'instar de ses illustres prédécesseurs, sur les hommes, le dernier empereur de Rome et accessoirement capitaine de la Roma a le droit de vie ou de mort sur le jeu. No Totti No Party annonce une immuable banderole en Curva Sud, la plus fervente des tribunes de l'Olimpico. C'est un constat logique. Pas de Totti, pas de fantaisie. Pas de Totti, pas de magie. Pas de Totti, pas de folie. Tout est plus fade sans le capitaine Romain. Il est l'élément qui va lier passion du football et obligation de résultat. Celui qui fait venir au stade des dizaines de milliers de spectateurs un soir d'hiver. Il respire le football, il sent le football, il est le football. Mes qu'un club dit-on en Catalogne au sujet du FC Barcelone. Bien plus qu'un club. A Rome l'adage pourrait bien être légèrement modifié pour personnifier et expliquer l'importance de Francesco Totti dans la sphère giallorossienne. Il est bien plus qu'un joueur. Voilà qui sied parfaitement à celui qui n'incarne pas seulement la vie d'un footballeur ayant réussi, mais bien un club et une ville, une façon de voir le football et le vivre. Il est Romain avant d'être Italien. Cela lui vaut d'être sifflé sur tous les autres terrains italiens. Il incarne trop son club et sa ville. Et sur le terrain, sa grandeur fait peur aux adversaires. «Qu'ils me haïssent pourvu qu'ils me craignent», disait l'empereur Caligula. Totti est autant haï pour ce qu'il représente – dans l'affrontement Nord/Sud italien – que craint pour ses coups de génie. Dompteur de balle, élégant technicien et redoutable finisseur, Francesco Totti a le charisme d'un leader sans pour autant prendre ce rôle trop à cœur. Il parle peu et compte ses mots dans le vestiaire. Sa seule présence suffit à rassurer ses partenaires et à déstabiliser ses adversaires. Dans les rares prises de paroles de Francesco Totti, hors réactions entourant les matches, les mêmes mots reviennent : espoirs, illusions, fierté, amour, passion... On retrouve toute la sémantique du rêveur romantique, illustre passionné et amoureux de son club, de sa ville, qu'il ne quitterait pour rien au monde. Il a été tour à tour le rêve de Florentino Perez, de Roman Abramovich (prêt à aligner 150 millions d'euros pour Totti et Emerson en 2003, selon Franco Baldini, ancien directeur sportif de la Roma, ndlr) et de Silvio Berlusconi, trois des plus puissants hommes dans le monde du foot, mais il a toujours refusé les trophées et l'argent pour vivre la passion et l'amour d'une vie. «Être champion avec la Roma, c'est comme gagner dix titres ailleurs», avait-il déclaré à ceux qui ne comprenaient pas sa fidélité à toute épreuve. De fait, il n'a gagné qu'un Scudetto mais il s'en accommode. Il n'en gagnera probablement pas d'autres, mais il s'en accommodera. Son influence à Rome est immense. Homme au grand cœur, discret dans ses dons aux associations ou lors des manifestations de l'Unicef, il est la personne la plus importante de la Cité éternelle. Certains coéquipiers avouent volontiers qu'il est plus grand que le Pape. D'un François à un autre, pendant que l'un enchaîne les bénédictions, l'autre multiplie les offrandes sur le gazon. Il inspire ses coéquipiers et éclaire le jeu de son équipe. Totti est le guide. Quand rien ne va, la Roma s'en remet à son capitaine. Comme tous les artistes aux pieds d'or, il exprime son football dans la plus grande simplicité. En une touche de balle, ses déviations sont un modèle du genre. Ses ouvertures millimétrées également. S'il laisse maintenant à 40 ans les reins de ses adversaires tranquilles, il casse encore les lignes adverses avec une grande facilité. Qu'il ait été positionné sur l'aile gauche, comme numéro 10 ou comme attaquant de pointe, tout au long de sa carrière il n'a eu de cesse de participer au jeu. Sa libre interprétation du rôle de faux numéro 9 dans la Roma de Spalletti (2005-2009) a souligné sa grande intelligence tactique. Soulier d'Or européen en 2007 devant Van Nistelrooy, Milito et Ronaldinho, il a autant marqué les esprits pour ses buts que par son sens du collectif, de l'anticipation et des déplacements de ses coéquipiers. Spectaculaire dans le jeu, Totti l'est également lorsqu'il s'agit de faire trembler les filets adverses. De ses coups-francs surpuissants en lucarne aux reprises de volées précises, en passant par quelques cucchiai (cuillères en italien, sorte de lob ou balles fouettés, ndlr) du plus bel effet, les gardiens en ont vu de toutes les couleurs, les pires comme les meilleurs, à commencer par Gianluigi Buffon, ami et victime préférée de Totti avec 20 buts encaissés dans sa carrière. Le capitaine de la Roma réussit à allier simplicité, talent naturel et efficacité avec le spectacle comme coefficient multiplicateur. La Roma a eu la chance de toujours pouvoir compter sur son vivier, terreau fertile en promesses de demain et en capitaines de légende. De Giannini à Di Bartolomei, en passant par Conti, les joueurs exemplaires sont légion mais aucun n'aura fait résonner les noms du club et de cette ville dans le monde entier comme l'a fait Francesco Totti. De la Rome antique à nos jours, la grandeur de la Cité éternelle a toujours été incarnée et portée par un seul homme. Le dernier empereur de Rome fait honneur à ses prédécesseurs. A 40 ans, Francesco Totti arrive au bout de son règne. On lui promettait le banc, mais le début de saison des Romains montre une nouvelle fois que l'héritage est lourd à porter. Il court moins que les autres, mais sa vision du jeu, sa justesse technique et son envie restent un exemple pour les plus jeunes. Avec ou sans lui, le public ne se comporte pas de la même façon. Aujourd'hui, on vient autant voir la Roma à l'Olimpico que Francesco Totti. La fin de sa carrière arrive et il faut se délecter de chaque passe, chaque ouverture millimétrée, chaque but et chaque caresse technique. Rome doit apprendre à ménager son joyau - même s'il reste indispensable - et va bientôt devoir faire sans lui. Quand sonnera l'heure des adieux, les larmes des supporters viendront nourrir le Tibre et la Roma quittera sans doute pour de bon l'univers du foot romantique pour mettre les deux pieds dans le foot moderne. Alea Jacta Est avait dit César avant de franchir le Rubicon. Le sort en est jeté. C'est ce que s'apprête à vivre la Roma, bientôt orpheline de son capitaine. En attendant cet instant que chaque supporter de la Roma se refuse à imaginer, Francesco Totti continue d'écrire sa légende au présent pour sa 25e saison professionnelle au club. Seul Paolo Maldini en a fait autant. Totti détient tous les records de la Roma (apparitions, buts, doublés, capitanat) et compte bien en atteindre encore quelques autres. Le dernier héros romantique du football européen n'en a pas encore fini avec son sport de prédilection, avec la ville qu'il aime et avec ce club qu'il chérit tant. Un club qui aura rendu 1/10e de ce que son capitaine lui aura donné. Mais Totti n'en a cure : il n'échangerait sa vie pour rien au monde. Il faut savoir souffrir pour accéder au trône et être l'image de sa ville, de son club et de millions de Romanisti. Il Capitano l'a réussi et cela vaut bien tous les titres du monde...