Après la primaire de la droite, l'élection présidentielle était dite imperdable pour François Fillon, puis, devenue une formalité pour Emmanuel Macron, au soir du premier tour. A défaut de mise en garde, elle risque d'échapper aux deux et partir pour bouleverser le cours de l'Histoire. En décrochant sa qualification au second tour avec le score honorable de 24,1%, Emmanuel Macron a franchi une étape importante dans le parcours devant le mener au palais de l'Elysée. Le dernier obstacle face à Marine Le Pen, prévu le 7 mai, devait être, crut-on, une simple formalité. Logique, dirait-on. Un duel entre un Républicain et une représentante de l'extrême droite, le scénario rêvé de tout candidat, devait susciter une vaste adhésion et tourner à l'avantage du leader du mouvement En Marche !Seulement voilà, la campagne de l'entre-deux-tours, une séquence en théorie long fleuve tranquille, ne sera pas, finalement, aussi calme qu'on l'aurait espérée. Paradoxalement et à l'opposé de l'élection de 2002, qui avait vu se coaliser tous les tirs républicains à l'encontre de Jean-Marie Le Pen, ce sont des rassemblements contre les deux finalistes qui ont eu lieu jeudi 27 avril. Ils se sont déroulés à travers les rues de bon nombre de villes de France avec pour mot d'ordre le rejet des deux offres. A Rennes, à Nantes, à Toulouse, ou encore à Paris, mettant dos à dos Emmanuel Macron et Marine Le Pen, les marcheurs, composés essentiellement de lycées et étudiants, ont clamé haut et fort « Ni Marine, Ni Macron, Ni patrie, Ni patron ». Ce rejet ne sera pas de nature à arranger spécialement les affaires du candidat d'En Marche ! Conjuguées à la menace d'une abstention record qui plane, et si elles se réitèrent d'ici le jour du vote, de telles manifestations, souvent incontrôlables et dont l'évolution est imprévisible, risquent de peser lourd et nul ne pourrait en mesurer les conséquences dévastatrices. Les deux finalistes doivent par ailleurs faire face à un autre front. Les syndicats Cgt, Sud et Fsu, structurés en collectif « Front social», échappant au contrôle et défiant leur Centrale respective, ont en effet défilé, le 1er mai, pour appeler à «battre les deux candidats». Par son refus de donner clairement de consignes de vote en faveur d'Emmanuel Macron, Jean-Luc Mélenchon, le candidat de la France insoumise complique davantage la situation du favori. Les électeurs insoumis sont partagés. Pour certains, les plus aigris, il leur est impossible de rallier « le candidat de la finance », et iraient ainsi se réfugier dans l'abstention. D'autres, tout aussi désabusés, opteraient, dit-on, pour un vote blanc, quand les farouches opposants au Front national se résignent, malgré tout, à un vote utile, en faveur de celui que leur leader charismatique avait combattu tout le long de la campagne, pour mettre l'extrême droite hors d'état de gouverner la France. Pour ne pas être un trois-quarts de président, l'enjeu désormais pour l'ex ministre de l'Economie n'est plus seulement de gagner cette élection. Il s'agira également d'être bien élu. Car, une victoire étriquée verrait sa légitimité contestée et aurait des répercussions sur la formation de son gouvernement et la constitution d'une majorité parlementaire. Pour redonner une nouvelle pulsion à sa campagne, le candidat d'En Marche ! s'attelle à faire oublier la séquence de sa virée dans une brasserie parisienne, une escapade qui rappelle, rallient ses adversaires, celle de Nicolas Sarkozy. Pour fêter sa victoire, ce dernier s'était alors rendu au Fouquet's, célèbre restaurant, dans lequel il s'était retrouvé entouré de patrons du Cac 40, une image qu'il (s)'est coltinée tout le long de son mandat. Après avoir enregistré le ralliement du centriste Jean-Louis Borloo, qui s'est dit « prêt à retrousser les manches pour aider le candidat d'En marche », ce dernier a multiplié les sorties. Il s'est rendu, jeudi 26, dans un quartier de Saint-Denis, à la rencontre des populations de banlieue. Un endroit où « Marine Le Pen ne peut pas venir », s'était-il enorgueilli. Sorties, meetings, bains de foule et célébrations mémorielles sont au programme avant le débat de l'entre-deux-tours, prévu mercredi 3 mai. Une confrontation décisive entre un candidat, s'il venait à faire un faux pas, aurait tout à perdre, et une candidate challenger, si elle prenait l'ascendant, aurait tout à gagner. Et, « la France court au désastre», dixit Alain Juppé.