À son ami René, mais en fait aux générations montantes, Kamel Bouchama rappelle ce qu'entraîna l'acte odieux adopté par le parlement français en janvier 1830. Hélas, cinq mois après, les hordes colonialistes, commandées par de Bourmont, débarquaient sur la presqu'île de Sidi Fredj, amenant ainsi l'Algérie à engager une lutte incessante pour son indépendance... L'avenir, dit l'auteur de «Lettre à René» en filigrane, appartient aux peuples qui le construisent ensemble, une fois soustraites les lourdeurs du passé. Là, où notre vieille garde militante n'a pas cru bon devoir consigner son témoignage, ce livre vient au bon moment. Il devrait de ce fait, être mis entre les mains de tous les jeunes. Ces colonisateurs ne doivent-ils pas éprouver des remords quand des jeunes d'El-Eulma et d'ailleurs ne peuvent leur pardonner d'avoir baptisé leurs villes du nom de ce criminel Saint-Arnaud ou de cet autre le colonel de Montagnac qui avouait lui-même : «Pour chasser les idées noires qui m'assiègent quelquefois, je fais couper des têtes. Non pas des têtes d'artichauts mais des têtes d'hommes» ? Même les lieux du culte et les sanctuaires du savoir n'ont pas été épargnés. Il y a eu la profanation des mosquées, la destruction des valeurs culturelles de notre peuple et l'importation d'une autre «culture» aux dimensions sociales et politiques dangereuses. Dans Alger seulement, il y avait, avant la colonisation, pas moins de 159 mosquées et lieux de culte et 17 zaouïas. C'est dire la floraison d'établissements cultuels avant l'arrivée des colons. Mais l'arrêté du 7 décembre 1830, qui était venu froisser les sentiments religieux des musulmans, avait transformé en églises, en casernes et en administrations abritant ses services militaires, des mosquées et des zaouïas vieilles de deux ou trois siècles. La mosquée Ketchaoua fut baptisée cathédrale et occupée de force par le Duc de Rovigo, commandant de la place militaire, le 17 décembre 1831. «La croix et l'étendard de France seront fixés au minaret et salués par des batteries de terre et de mer», répondait-il à l'Imam de la mosquée qui protestait énergiquement. Mais ce jour-là, il y eut ade la casse ! On cassa de l'Arabe, c'est-à-dire l'Algérien. Nous n'avons pour preuve que ce témoignage d'un Français, présent à cet épisode honteux et indigne de la France des lumières : «Quatre mille musulmans environ étaient enfermés dans la mosquée et en avaient barricadé les portes. On fit les sommations d'usage, puis une escouade de sapeurs du génie s'apprêta à faire sauter les gonds. Aux premiers coups de hache, les rebelles se décidèrent à ouvrir et une immense rumeur sortit de la mosquée. Quelques coups éclatèrent immédiatement, les membres de la commission et des ulémas furent entraînés dans une formidable bousculade. La troupe croisa la baïonnette et repoussa les musulmans dans la mosquée. Pris de panique, ces derniers s'échappèrent par une sortie latérale. On trouva dans la mosquée plusieurs hommes étouffés et quelques autres blessés dans la tentative de sortie. La prise de position était faite. Le duc de Rovigo fit camper une compagnie d'infanterie dans la mosquée». Dénonçons encore les atrocités de la colonisation et n'oublions pas le génocide de 1945, tout juste après la Seconde Guerre mondiale. Les Algériens pensaient qu'après avoir contribué largement, et de leur plein gré, aux côtés de la France, à la victoire des alliés sur les forces du nazisme et du fascisme, les Français leur seraient reconnaissants en accédant à leur demande : rediscuter les problèmes de souveraineté ou, tout au moins, leur donner plus de liberté et de droits. La réponse à cette demande, considérée comme une sérieuse provocation, leur fut donnée le 8 mai de la même année, le jour où le monde entier fêtait la victoire contre les forces du mal. A Sétif, en ce triste jour, Soual Bouzid, un jeune scout et porte-drapeau, s'écroulait sous les balles des policiers commandés par le commissaire Olivier. Son crime : il chantait l'hymne «Min Djlibalina» que reprenait en chœur la foule de jeunes qui participaient au défilé de joie. C'était le prélude à la mort de milliers d'Algériens (45 000) qui allaient tomber sous les balles assassines et dans de terribles massacres dont, entre autres, celui de Kef El-Bomba, à Héliopolis, tout près de Guelma ou ceux des gorges de Kherrata. Ainsi, «le monde basculait en même temps pour des centaines de milliers de jeunes Algériens. Dans l'horreur des massacres perpétrés sous leurs yeux, ils pressentaient déjà confusément qu'un jour, pour conquérir la liberté de leur peuple, il leur faudrait à leur tour entrer dans la fournaise», disait un analyste de la Guerre d'Algérie. En effet, de jeunes Algériens, conscients de la gravité de la situation, devaient prendre les armes et, à minuit, en ce 1er novembre de l'année 1954, firent entendre aux colonisateurs ce dont ils étaient capables. Ces jeunes travaillèrent dur. Ils imposèrent la lutte armée. Et, pour créer l'unanimité du peuple autour de cette action concrète de recouvrement de la souveraineté nationale et éveiller de grandes sympathies à travers le monde, il fallait aller plus en avant par la prise de possession politique du pays. Le congrès de la Soummam vint à temps faire le bilan de cette période et prendre de grandes décisions pour revigorer les institutions déjà en place, clarifier le combat politique et tracer un programme d'action avec des structures redéfinies pour soutenir et accroître la lutte jusqu'à la victoire finale. C'était noble de la part des Algériens qui, après avoir épuisé toutes les voies pacifiques devant un colonialisme qui refusait d'entendre raison, eurent recours à la lutte armée pour arracher leur indépendance nationale. Ils avaient compris qu'il fallait combattre un «indu occupant» qui s'était spécialisé dans la brutalité et la férocité et, dans ce cas, comme l'affirmait Bouteflika, jeune ministre de l'époque, tout juste après l'indépendance : « La violence devient alors un acte de culture ! » Mais les autres, ces indus occupants, ont-ils été des adversaires respectables dans leur acharnement à ne pas vouloir quitter notre sol ? Non ! Et c'est de notoriété internationale..., le colonialisme a commis d'affreux crimes de guerre dans notre pays. J'ai bien développé cet aspect pour la période d'avant-1954 et me suis appesanti, avec des preuves et des déclarations de nobles citoyens français. 1954-1962, ce fut également une période difficile, douloureuse, pénible pour notre peuple qui a, encore une fois, versé beaucoup de sang et payé un lourd tribut pour recouvrer sa souveraineté nationale. Je ne vais pas raconter cette guerre, car, de par sa bestialité et l'injustice qui furent imposées à notre peuple, des encyclopédies entières ne pourraient la contenir. Je me contenterai de stigmatiser l'aspect criminel qui présida à sa conduite du côté de l'armée coloniale et l'attitude fort raciste des gouvernements français, notamment de gauche, qui se sont succédé tout au long de cette période. Un million et demi de martyrs, disent les chiffres. N'est-ce pas un peu exagéré, répondent «certains philosophes» qui n'ont connu cette historique révolution que de loin ou dans les salons feutrés de la diplomatie française. Non, ce n'est pas exagéré parce qu'il y en a plus et nous n'aurons aucune gêne pour dire qu'il y a eu le double, peut-être même le triple, le quadruple ou le quintuple, qui sait. Effectivement, qui sait, puisque à l'heure où je t'écris ces lignes, René, nous découvrons encore d'inqua-lifiables charniers qui racontent, éloquemment à leur façon, des massacres collectifs perpétrés dans les zones rurales, contre des populations désarmées et innocentes. Dans le livre intitulé «Coloniser, exterminer», l'auteur français Olivier Le Cour Grandmaison nous confirme que de 1837 à 1847, presque un million d'Algériens ont été tués sur une population de 3 millions d'habitants. Pratiquement un tiers de la population algérienne. N'est-ce pas un holocauste ? Un des proches de Robert Lacoste ne disait-il pas : «Il était à prévoir que des abus se commettraient, sans bien sûr pouvoir en évaluer l'importance...» ? Et de cette «importance», les chiffres ont été toujours éloquents..., hélas ! En effet, les ruraux ont souffert le martyre infligé par l'armée du corps expéditionnaire. Tous les villages ont été touchés..., sérieusement touchés par les raids aériens et les incursions «musclées», lors de grands ratissages. Les zaouïas ont souffert particulièrement parce qu'elles représentaient, aux yeux de la colonisation, ces «nids de vipères» qui formaient et abritaient les «rebelles», les «fellagas», ces hors-la-loi qui s'insurgeaient contre la France pacificatrice. Et si j'évoque ces zaouïas, ce n'est pas pour célébrer leur travail et leur militantisme, mais pour condamner les actions belliqueuses contre ces sanctuaires du savoir. A-t-on vu, pendant d'autres guerres, des armées, terribles et féroces, s'attaquer aux églises et autres sanctuaires du culte, comme les couvents et les retraites par exemple ? Non ! Jamais ! Toutes les armées du monde ont le respect du culte et de la science. Toutes les armées du monde révèrent la soutane ou un autre vêtement religieux, sauf cette armée coloniale qui n'a jamais supporté la présence et encore moins la tenue de nos hommes du culte. Etait-ce la «djellaba» et le burnous qui les incommodaient et les irritaient ? Encore une fois, non ! C'est l'Islam, c'est l'Algérien (ou l'arabe, avec un petit a) qui les irritaient et les encombraient. C'est une haine ancestrale, c'est de l'antisémitisme qu'ils ont toujours «pratiqué», mais qu'ils dénoncent quand ils veulent nous marginaliser en nous le «collant», comme un crime impardonnable, chaque fois que leur imagination leur souffle des victimes expiatoires. C'est en réalité les croisades qui se poursuivent, jusqu'à l'heure actuelle. Et tous les pays arabes détiennent des preuves, matérialisées par des documents et des déclarations, qui nous font écrire ces affirmations. De toute façon l'Arabe n'a jamais été bien «affectionné», dans le monde occidental, même s'il est chrétien, intelligent et beau, instruit et compétent. La preuve, et je ne veux rien insinuer, sauf cette «antipathie» qui demeure constante, même chez ceux que nous respectons et encensons. J'ai à l'esprit des histoires véridiques que je te livrerai quand l'occasion nous sera propice. Ces histoires, qui sont dangereuses à mon sens, veulent dire beaucoup de choses..., mais encore une fois, je ne garde aucune rancœur à l'égard de qui que ce soit. Ainsi, pour confirmer cette attitude néfaste que l'on a toujours adoptée à notre égard, je dis la vérité, même si cela ne plaît pas à beaucoup de personnes. Je suis sûr que, sur cet aspect, je rencontrerai des personnes qui trouveront à redire sur ce que je viens d'écrire. En tout cas, pour ce qui est des moments forts de la guerre de Libération nationale, la France coloniale, avec ses différents gouvernements, ses pléthores de responsables, ministres, cardinaux et généraux, n'a pu arrêter les exactions dans ces lieux du culte et n'a pu atténuer les massacres de ces populations rurales dont le tort était d'être attachées à leur terre, à leur religion et à leur indépendance. Pour être plus précis, concis et concret dans mes déclarations, je me dois de citer quelques-uns de ces sanctuaires – parce qu'ils sont nombreux effectivement – qui furent soumis à ces injustices, pour ne pas dire aux effets dévastateurs des obus et du napalm. (A suivre)