La rapidité de la riposte occidentale à l'invasion de l'Ukraine par la Russie fait sourciller les Yéménites qui subissent une campagne acharnée de bombardements et un blocus terrestre, maritime et aérien mortel depuis 2 520 jours. «Nous sommes brutalement bombardés tous les jours. Pourquoi donc l'Occident ne se soucie-t-il pas de nous comme de l'Ukraine ? !! ... Est-ce parce que nous ne sommes pas blonds aux yeux bleus comme les Ukrainiens ?» demande, les sourcils froncés, Ahmed Tamri, yéménite père de quatre enfants, constatant le déferlement du soutien international et de la couverture médiatique que suscite l'invasion de l'Ukraine par la Russie, et l'absence d'une telle réaction à l'égard de la guerre au Yémen. Au cours du week-end, un membre de la famille Tamri a été tué et neuf autres ont été blessés lorsque la maison familiale a été prise pour cible par une frappe aérienne d'une coalition dirigée par l'Arabie Saoudite dans la région reculée de al-Saqf dans la province de Hajjah. M. Tamri affirme que al-Saqf est soumise à une campagne saoudienne de bombardements brutales depuis sept ans – bien plus, dit-il, que ce que toute l'Ukraine a subi depuis qu'elle a été envahie par la Russie. Questions évidentes des Yéménites Tandis que l'invasion de l'Ukraine par la Russie entre dans son sixième jour, le monde occidental dans son ensemble continue de manifester massivement son soutien aux Ukrainiens. De lourdes sanctions ont été prises contre la Russie par les Etats-Unis, l'Europe, l'Australie, et l'Occident en général, au milieu d'une vague de débats d'urgence au Conseil de sécurité de l'ONU. La rapidité avec laquelle sont adoptées les représailles occidentales – qui comprennent l'exclusion de la Russie du réseau bancaire international SWIFT et les appels à traiter les Russes en parias internationaux dans le monde du sport, de la culture, et même des sciences – fait sourciller les Yéménites qui subissent une campagne acharnée de bombardements et un blocus terrestre, maritime et aérien mortels depuis 2 520 jours consécutifs. Depuis jeudi, lorsque les forces russes ont lancé leur assaut de grande envergure contre l'Ukraine, la coalition menée par l'Arabie Saoudite et soutenue par les Etats-Unis, a effectué plus de frappes aériennes au Yémen que la Russie en Ukraine. A Hajjah, province encerclée par de l'artillerie lourde saoudienne, les avions de combat de la coalition saoudienne ont effectué plus de 150 frappes sur les villes de Haradh, Heiraan, Abbs, et Mustab, tuant des dizaines de civils, dont un père de six enfants tué au cours du week-end par un drone saoudien qui a pris pour cible sa voiture sur la route entre Shafar et le marché de Khamis Al-Wahat. Depuis qu'a commencé l'incursion de la Russie en Ukraine des dizaines de civils, dont un certain nombre de migrants africains, ont été tués et des centaines blessés par l'artillerie saoudienne et les frappes aériennes dans la province à forte densité de population de Saada au Yémen, que l'Arabie Saoudite a déclarée être zone militaire dès le début de sa campagne militaire en mars 2015. Tandis que les caméras des médias et les manifestations de protestation manifestaient aux civils ukrainiens les marques d'une sympathie indispensable, à Sana'a, au Yémen – que le blocus saoudien paralysant a transformé en une vaste prison pour les plus de quatre millions de résidents et réfugiés – les avions militaires ont bombardé plusieurs zones densément peuplées, dont l'aéroport. Cent soixante autres frappes aériennes ont été lancées sur les provinces de Marib, al-Jawf, al-Baydha, Taiz, Najran, et Hodeïda, le principal point d'entrée des marchandises et de l'aide dans un pays confronté à la pire famine d'origine humaine du 21e siècle. Il semble, en fait, que le régime saoudien profite du fait que l'attention des médias soit détournée pour accroître les attaques sur un nombre de cibles sensibles le long de la frontière saoudi-yémenite et renforcer son emprise sur le gouvernorat d'Al-Mahra. Les Emirats Arabes Unis, l'autre principale monarchie pétrolière soutenue par l'Occident qui occupe le Yémen, fait aussi son beurre, accélérant son projet de modifier la démographie de l'île de Socotra très prisée en déplaçant les autochtones pour y installer des colons plus en phase avec les politiques émiraties. Et tandis que les EU préparent des livraisons massives d'armes et d'aide militaire aux «combattants de la liberté» ukrainiens qui se défendent contre une invasion russe, les «rebelles yéménites» ont abattu un drone MQ9-1 de fabrication américaine télé piloté par les Emirats Arabes Unis au-dessus de al-Jawf et deux Boeings de fabrication américaine Insitu ScanEagles au-dessus de Marib et Hajjab. Alors que des pays qui ont passé les dernières décennies à construire des murs au sens propre et figuré pour refuser l'entrée chez eux à des réfugiés à la peau brune et noire aux abois fuyant la violence et l'invasion de leur propre pays ouvrent les bras, leur maison et leur cœur aux réfugiés ukrainiens en fuite, l'Arabie Saoudite a déchaîné une attaque de mercenaires yéménites contre leur propre patrie leur promettant une carte de séjour saoudienne et la sécurité pour leur famille s'ils se retournent contre leurs compatriotes. Appelée ironiquement les «Happy Yemen Forces», (Forces joyeuses du Yémen), l'unité a été constituée fin 2021, d'après des documents militaires fuités, avec pour mission de sécuriser la frontière de l'Arabie Saoudite avec le Yémen et d'assurer la sécurité de l'Arabie saoudite en échange d'une carte de séjour et de l'accès aux services sociaux saoudiens qui vont de pair. S'il faut comparer En ce qui concerne le coût en vies humaines, la tragédie qui se déroule au Yémen est bien plus mortelle qu'en Ukraine, où 325 Ukrainiens dont 14 enfants ont tragiquement perdu la vie d'après les fonctionnaires ukrainiens. Bien sûr la guerre au Yémen fait rage depuis plus de six ans, mais proportionnellement les chiffres sont stupéfiants. Depuis 2015 le nombre de morts a atteint les 400 000 personnes dont 3 900 enfants. Un médecin soigne des enfants blessés par une frappe aérienne à Saada, au Yémen, le 9 août 2018 – Photo : Nations unies Depuis 2015, les avions de guerre de la coalition saoudienne ont pilonné le Yémen de plus de 266 000 frappes aériennes, d'après le Yemeni Army Operations Room, qui enregistre les frappes aériennes contre des cibles civiles et militaires. 70% de ces frappes ont touché des cibles civiles Les colonnes de fumée, les décombres et les flammes que l'on peut voir actuellement en Ukraine constituent le statu quo au Yémen depuis des années, alors que les médias occidentaux considèrent souvent que les images diffusées sur les chaînes de télévision yéménite locales où l'on voit des parents retirant des décombres de leur maison ou de leur école des morceaux de leurs enfants, sont trop choquantes pour être montrées. Des milliers d'installations vitales sur le plan économique comme des usines, des établissements de stockage de denrées alimentaires, des bateaux de pêche, des marchés alimentaires et des camions citernes ont été bombardés par la coalition saoudienne soutenue par l'Occident. Des infrastructures essentielles, dont des aéroports, des ports maritimes, des centrales électriques, des citernes d'eau, des routes et des ponts et en sus d'innombrables écoles, champs agricoles, et lieux de culte, ont été détruits ou endommagés. Un blocus saoudien et des frappes aériennes ont paralysé le système de santé du Yémen, le rendant incapable d'assurer les besoins de santé publique les plus élémentaires et avec pour conséquence le fait que les 300 établissements restant dans tout le pays peuvent à peine fonctionner tandis que la Covid-19 se propage comme un feu de brousse. Comme les manifestations de condamnation de l'invasion russe continuent d'affluer, les gouvernements occidentaux envoient une aide massive à l'Ukraine et les campagnes sur les réseaux sociaux font le reste, tandis qu'au Yémen l'ONU a annoncé qu'il était probable que d'ici mars elle supprimerait l'aide à 8 millions de personnes dans un pays où elle reconnaît que sévit la pire crise humanitaire au monde. L'insécurité alimentaire des familles se maintient à plus de 80%. Près d'un tiers de la population ne dispose pas d'assez de nourriture pour satisfaire même les besoins nutritionnels élémentaires. Des enfants présentant une insuffisance pondérale et un retard de croissance sont un spectacle courant et le pire est à venir, car l'invasion russe a pour conséquence une augmentation du prix des carburants et des denrées alimentaires et les fonds humanitaires se tarissent, selon le Programme alimentaire mondial des Nations unies. Choisir quelle invasion condamner En mars 2015, plus de 17 pays menés par la riche monarchie pétrolière d'Arabie Saoudite ont lancé une invasion militaire du Yémen, état souverain et membre des Nations unies. Ostensiblement, la guerre fut déclenchée pour rendre le pouvoir au Président Abdrabbuh Mansur Hadi après qu'il en eut été chassé à la suite des protestations populaires dans le cadre des printemps arabes. Le 26 mars de cette année-là, la coalition saoudienne soutenue diplomatiquement et militairement par les Etats-Unis, allait commencer une campagne de bombardements qui depuis sept ans tue, mutile et détruit aveuglément. L'Arabie Saoudite, sans aucun doute la dictature la plus répressive au monde, a non seulement remis au pouvoir par la force Hadi sous couvert de protéger la démocratie, mais elle a aussi occupé de vastes étendues du sud du Yémen de al-Mahara au détroit de Bab al-Mandab. Des journalistes, militants et hommes politiques yéménites en sont à se demander pourquoi les gouvernements occidentaux, notamment l'administration Biden, condamne la Russie pour l'invasion de l'Ukraine sous le prétexte de la sécurité nationale tout en défendant le «droit légitime» saoudien d'envahir le Yémen sous exactement le même prétexte. Malgré les horribles violations des droits humains perpétrées par l'Arabie Saoudite au Yémen, les nations occidentales, et les Etats-Unis en particulier, ont non seulement fourni des armes létales, de la formation, de la maintenance, des renseignements, et une couverture politique et diplomatique à la monarchie, mais ont également imposé des restrictions à la couverture médiatique des atteintes aux droits humains perpétrées par le régime saoudien au Yémen, en faisant pression sur les sociétés de technologie et réseaux sociaux pour qu'ils déprogramment et carrément bannissent les militants yéménites et les médias critiques de la guerre. Tandis que les médias occidentaux accordent une couverture élogieuse aux Ukrainiens résistant à leurs envahisseurs et occupants étrangers, et que les dirigeants occidentaux applaudissent la détermination et la résistance des Ukrainiens et leur envoient aide, armes et soutien moral, ils qualifient les Yéménites qui prennent les armes de terroristes et en font les cibles de bombes intelligentes de fabrication américaine et d'attaques de drones. Les Yéménites qui prennent les armes contre les envahisseurs saoudiens et les forces émiraties sont victimes de sanctions et dénigrés comme agents de l'Iran par les institutions médiatiques progressistes qui prétendent s'opposer à la guerre. Lundi, le Conseil de sécurité des Nations unies a prolongé un embargo sur les armes et l'interdiction de voyager aux forces yéménites. La résolution condamnait fortement ce qu'elle appelait des attaques transfrontalières par les «Houthis», terme péjoratif utilisé pour désigner Ansar Allah, la force la plus importante qui s'oppose à l'invasion et à l'occupation saoudienne. Commentant la résolution, adoptée comme les Emirats Arabes Unis refusaient de condamner publiquement la Russie pour l'invasion de l'Ukraine, espérant obtenir le soutien russe pour sa propre invasion du Yémen, le dirigeant de Ansar Allah, Mohammed al-Houthi a formulé une simple requête : que l'attaque délibérée de civils au Yémen mène à une interdiction des armes à destination de l'Arabie Saoudite. Fondamentalement, al-Houthi demandait qu'il soit mis fin au deux poids deux mesures, requête apparemment impossible à satisfaire dans le climat politique actuel.