Ils ont entre 9 et 15 ans et se prostituent. Ce terme choque plus d'un. D'aucuns préfèrent parler «d'exploitation sexuelle à des fins commerciales». Ces sensibilités n'empêchent pas ces enfants de vendre tous les jours leur corps à 50 dirhams afin de subvenir aux besoins de toute une famille. La pauvreté est un facteur déterminant qui pousse les enfants à s'engouffrer dans le monde de la prostitution. Les résultats d'une enquête, menée à Marrakech auprès des jeunes enfants prostitués, pointent leurs conditions sociales. Ce n'est pas une révélation, mais plutôt une confirmation sur le terrain. L'étude d'ailleurs, selon ses commanditaires, l'Association marocaine pour le développement communautaire (Amadec) avec le soutien de l'Unicef, ne s'est pas voulue quantitative, mais plutôt un premier jalon pour briser le tabou à Marrakech. «Il s'agissait pour nous de pénétrer dans ce monde et confirmer des données qui existent depuis belle lurette, mais jamais dénoncées», tient à souligner Mustapha Berre, président de l'association. Pauvreté, éclatement de la cellule familiale, maltraitance au sein de la famille, démission de l'école, absence de repères éducatifs sexuels et également le travail précoce...Tous ces facteurs ont fait des enfants des objets sexuels aujourd'hui. A cela, s'ajoute ce «consentement» de la société, qui ferme les yeux sur les abus sexuels sur les enfants. Il aura fallu du temps et du doigté pour faire parler cette centaine d'enfants en leur garantissant l'anonymat sur leur identité, mais aussi sur leurs quartiers. Les entretiens s'achevaient souvent par les sanglots de ces enfants, sanglots traduisant tout leur désarroi. De 50 à 2 000 dirhams pour une passe Ceux qui ont parlé aux enquêteurs ne sont pas représentatifs de l'étendue du phénomène à Marrakech, que personne ne peut évaluer et où l'exploitation sexuelle des enfants est aussi liée à leur placement précoce chez les maâlems pour apprendre un métier. Ceux qui ont osé parler n'appartiennent pas à cette catégorie et ne font pas partie de réseaux qui, vraisemblablement, existent dans la cité ocre. Ce sont uniquement «des indépendants», mais souvent entraînés par des pairs. Arrachés à leur innocence très tôt, alors qu'ils devraient être à l'école ou du moins profiter de leur enfance, ces victimes se vendent à 50 dh la passe (4,5 euros), parfois, les plus chanceux peuvent «gagner» beaucoup plus par nuit, du moins les garçons. Certains clients, principalement de vieux touristes, avides de chair fraîche, payent jusqu'à 2 000 dh la passe (182 euros). Mais le plus souvent, c'est à bas prix que ces enfants se vendent. La montée en puissance du tourisme dans la ville, avec des endroits fermés, a élargi le fléau, bien que ce ne soit pas la grande cause de cette prostitution. Aucun réseau détecté Le tourisme qui rime avec sexe n'est pas nouveau. C'est même à la limite d'une certaine logique : toute destination à vocation touristique connaît une recrudescence de la prostitution. Il n'y aurait pas de quoi «en faire un plat», diraient certains. Mais pas lorsqu'il s'agit d'enfants. C'est pourtant dès le début des années 1990, que l'Organisation mondiale du tourisme a attiré l'attention sur ce phénomène. Elle a créé un plan d'action pour la protection des enfants contre l'exploitation sexuelle dans le tourisme et pour dépister les cas. Il est vrai que Marrakech n'est pas la Thaïlande. Et jusqu'à maintenant, aucun réseau n'y a été détecté. Encore faut-il que les langues se délient et que les familles prennent conscience et en parlent. Or, le sujet est tabou, même lorsqu'il s'agit d'agressions sexuelles. Pourtant, c'est l'un des facteurs déterminants d'après l'échantillonnage étudié. Une bonne partie de ces enfants s'est adonnée à la prostitution après avoir été violée parfois même par un des parents (...). Côté protection, plus de 50% des enfants n'utilisent pas de préservatifs bien que 70 % au moins de l'échantillonnage connaissent les risques de contamination par les MST (maladies sexuellement transmissibles) comme le sida. Pis encore, parmi ceux qui se protègent, plus de 23%, se disent prêts à oublier la protection si le client l'exige.