Le mouvement de contestation né de ces événements paraît plus important, et plus radical que celui ayant accompagné les dernières élections contestées, où les leaders de l'opposition avaient fini par céder à la pression de l'establishment après l'adoubement d'Ahmadinejad comme président de la République. De nouveaux heurts ont été signalés, hier, dans l'ouest de Téhéran entre forces de sécurité et partisans de l'opposition au lendemain d'affrontements meurtriers, rapporte un site internet proche des réformateurs. Le bilan reste toutefois incertain. Alors que l'opposition recensait dans la capitale au moins cinq victimes, dont quatre tuées par balles, les autorités et les médias officiels ont évoqué quatre, cinq puis même plus de 15 morts, avec des explications parfois contradictoires. Cette mobilisation de l'opposition au président Mahmoud Ahmadinejad a été la plus massive et la plus sanglante depuis les grandes manifestations qui avaient suivi sa réélection contestée en juin et qui avaient fait 36 morts, selon le gouvernement et 72 selon l'opposition. Au lendemain des violences, la répression s'est accrue. Selon des sites web de l'opposition, deux proches de l'ancien président réformateur Mohammad Khatami et trois conseillers du leader de l'opposition, Mir Hossein Moussavi, ont été arrêtés par les autorités iraniennes. L'ancien premier ministre de l'imam Khomeiny, rival malheureux du président Ahmadinejad à la présidentielle de juin, est devenu depuis l'un des leaders de l'opposition et la bête noire du pouvoir. L'ancien ministre iranien des Affaires étrangères Ibrahim Yazdi, chef du Mouvement de libération de l'Iran – mouvement d'opposition sans existence légale mais toléré depuis de nombreuses années –, a lui aussi été arrêté dans la nuit de dimanche à lundi à son domicile par les services de sécurité. Les capitales occidentales suivent les événements en Iran avec un grand intérêt. La presse internationale mesure l'ampleur de la contestation des autorités en place et y voit un véritable tournant pour le régime iranien. Certains commentateurs parlent d'une véritable «intifadha», dont les spasmes vont finir par engendrer une sorte de révolution à la géorgienne. Les plus optimistes comptent sur le degré d'organisation et de maturité de l'opposition pour mener à bien cette révolte inédite, «qui a des racines bien plus profondes qu'une élection frauduleuse», estime le journal britannique The Guardian. Les observateurs relèvent un indice nouveau dans la contestation iranienne : les manifestants s'en sont pris pour la première fois au nom du Guide suprême iranien, l'ayatollah Khamenei, que l'on ne se gêne plus de qualifier de «nouveau Chah». A l'avènement d'Ahmadinjead à la tête du pays, l'Iran entrait en conflit avec la communauté internationale sur la question du nucléaire. Le bras de fer va encore se durcir. A maintes reprises, le clash a failli avoir lieu avec comme toile de fond la crise au Proche-Orient et l'escalade au Liban. Heureusement que la logique jusqu'en-boutiste des deux parties (Téhéran et Washington) n'a jamais pu être mise en exécution. La réponse qui a été donnée, ces dernières années, par l'Iran à la demande européenne de suspendre le programme nucléaire, en échange d'une coopération sur le nucléaire civil et dans le domaine économique, bien qu'elle soit mitigée puisque les Iraniens, tout en acceptant le principe des négociations, refusent toute condition préalable, est de nature à dégeler un tant soit peu les rapports entre l'Iran et les Etats-Unis. Ces derniers ne cessaient de brandir à chaque fois l'épouvantail des sanctions, via le Conseil de sécurité, et de menacer même de recourir à l'usage de la force. Le gouvernement Bush se disait toujours opposée à toute idée d'accorder des circonstances atténuantes à Téhéran, en rejetant l'offre iranienne. La communauté internationale ne désespérait pas alors de voir l'Iran se plier à sa «volonté», sous l'effet de la guerre contre son allié libanais, le Hezbollah. Mais la donne politique a aujourd'hui changé dans la région, en faveur de ce même Hezbollah. Le sentiment de défaite de plus en plus assumée par les Israéliens, ne pouvait qu'enthousiasmer le régime islamique de Téhéran pour conforter ses positions et s'imposer davantage sur l'échiquier régional. Et les capitales occidentales, alliés objectif d'Israël, doivent bien tenir compte de cette nouvelle réalité. Le lien entre la situation au Proche-Orient et la crise nucléaire iranienne n'a jamais paru aussi franc. Ce n'est pas un hasard si le discours du président Ahmedinejad ait toujours été axé sur des attaques contre «l'entité sioniste», seule puissance nucléaire autorisée dans la région, qu'il appelle à rayer de la carte. Et Téhéran ne veut pas perdre cet atout pour peser dans ses négociations avec l'Occident sur son droit de se doter de l'arme nucléaire, au même titre que son ennemi juré, Israël, supposé aujourd'hui affaibli. Une porte est donc ouverte. Dans leurs suggestions, les «sous-traitants» européens de Washington, notamment Paris et Berlin proposent notamment la possibilité d'une coopération avec l'Iran pour développer un programme nucléaire civil. L'Iran ne peut a priori la refuser dès lors que dans son discours officiel, le régime dit bien que son programme est destiné à l'usage civil. Avec la différence qu'un éventuel programme civil est appelé à être soumis systématiquement au contrôle. Ce que Téhéran ne peut bien entendu admettre sous aucun prétexte. C'est là d'ailleurs que réside le nœud même du problème avec l'Agence internationale de l'énergie atomique (AIEA) qui lui reproche de cacher ses véritables desseins. Mais l'Iran peut monnayer cela en négociant des avantages dans le domaines économique et politiques : l'élargissement de son champ d'influence, à Damas, au Liban, et en Irak... Tout en sachant que cela ne peut se faire qu'au détriment des pays pivots de la région, l'Egypte, l'Arabie Saoudite, qui ont déjà ouvertement affiché leur crainte d'un recentrage régional au profit du bloc chiite, et d'Israël dont l'existence même est reniée par la doctrine islamique iranienne.